La traversée raconte elle aussi une épopée, bien qu’il s’agisse là de banales croisières sur la Méditerranée de Marseille à Alger, aller et retour. Mais pour chacun des protagonistes que nous révèle la caméra d’Elisabeth Leuvrey une part de vie s’y joue entre espoir et souffrance, amour et haine. Dans ce huis clos les fantasmes du pays d’accueil et la mémoires du pays natal s’enflent et malmènent les têtes et les cœurs. L’un d’eux se prend à rêver de cet entre-deux comme du lieu générateur d’un peule nouveau qui ne serait ni la France ni l’Algérie mais quelque chose de nouveau fait de l’un et de l’autre.

Le spectateur est saisi par l’intensité dramatique de ces portraits brossés au cours d’une vingtaine de voyages qui nous semblent ne plus en faire qu’un. Loin de toute superficialité, tout en évitant l’écueil du voyeurisme, la caméra d’Elisabeth Leuvrey nous entraîne dans ces vies écartelées entre deux cultures, nous les rend proches. Pas de commentaire superflu, pourtant mieux qu’un long discours ce film nous donne à voir, à ressentir, presque de l’intérieur, la condition de l’immigré. Je devrais dire des conditions d’immigrés car ici c’est l’addition de particularismes qui tend à l’universel.

L’attitude des uns ou des autres, leurs propos auraient pu nourrir, parfois, en nous un sentiment d’agacement, voir de rejet. Mais l’attention et le profond respect de la réalisatrice pour chacun de ceux qu’elle filme nous les rend tous attachants.

«  La traversée est une étape d’une longue route sur laquelle je me suis engagée, il y a plusieurs années en entreprenant de retourner en Algérie, qui est ma terre natale » dit-elle « pour y mener un travail documentaire sur la question de la mémoire, de l’identité et de la transmission. » Une très heureuse idée que de se servir de cet espace clôt, bien qu’ouvert sur l’immensité, que représente le navire. Plus tout à fait ici mais pas encore là-bas ce sont les vies racontées qui nous transportent.

C’est une belle leçon d’humanité que nous offre Elisabeth Leuvrey.