• Rapport Compétitivité du CESE

    Rapport Compétitivité du CESEDans le cadre de l’écriture d’un rapport sur la compétitivité,les membres du conseil économique, social et environnemental (CESE), ont discuté plusieurs semaines avant de produire un avis voté par la CGT

    Quelle politique industrielle?

    RAPPORT COMPETITIVITE DU CESE 

     

    Interview de Marise Dumas, conseillère confédérale.




    Dans quelles conditions avez-vous mené ces discussions,sur quoi ont-elles débouché ?

    Il est tout d’abord important de rappeler que le CESE est une assemblée consultative, la troisième du pays, à côté des assemblées parlementaires élues (Assemblée Nationale et Sénat). Il regroupe les forces sociales du pays, c’est-à-dire les organisations patronales et syndicales mais aussi les associations, mutuelles, agriculteurs,… Il y a une diversité d’approches représentant la société française. Pour le rapport concernant la compétitivité, le CESE a travaillé à partir d’une saisine du 1er Ministre Francois Fillon, dans laquelle il était sommé de conclure que le coût du travail était le principal handicap de la compétitivité de la France. L’objectif du gouvernement était d’obtenir un feu vert pour aligner les politiques salariales et sociales sur ce qu’ils estiment être le modèle allemand et mettre en place la TVA sociale. Or, non seulement le CESE n’a pas obéi mais il a émis un avis que la CGT a voté, et qui est un point d’appui dans la bataille actuelle. Il a opté pour une défi nition de la compétitivité qui dépasse la seule vision par les coûts. La compétitivité est ainsi vue comme ce qui permet à un pays d’assurer un haut niveau de vie et de protection durable à sa population et d’être attractif pour les investissements et l’emploi. De quoi faire s’étrangler Sarkozy et Fillon !

    Comment parler compétitivité avec le patronat alors que nous n’avons pas la même approche ?

    Avec le patronat nous avons une approche opposée. Pour lui, tout ce qui compte c’est de comprimer les salaires, l’emploi et le financement de la protection sociale et des retraites pour satisfaire aux exigences de rentabilité financière. Pour faire face aux politiques patronales, il faut donc créer des rapports de forces et donc convaincre le plus grand nombre de salariés possible. Dans cette bataille d’idées, le fait que le CESE, 3ème assemblée du pays, représentant les forces sociales, exprime un avis qui conforte nombre d’arguments de la CGT nous aide à faire rayonner nos propositions.

    Le modèle allemand ne cesse d’être vanté par le gouvernement et le patronat pour mettre la pression sur les salariés à propos du coût du travail. Les éléments de comparaison sont ils valables ?

    Courir après un prétendu modèle est une impasse ! Il vaut mieux identifier nos propres atouts pour les développer. Quel que soit le modèle mis en avant, l’affaiblissement des salaires, des qualifications et la remise en cause de la protection sociale sont toujours en ligne de mire. Mais dans ces comparaisons économiques, il faut aussi prendre en compte les modes de vie et les valeurs. On ne peut pas extraire, par exemple, le niveau des salaires sans se préoccuper du financement de la protection sociale. Ainsi, en France, la protection sociale est financée par les cotisations salariales et patronales, ce n’est pas le cas en Allemagne. Le prix du travail y apparaît donc plus faible. Mais il y a d’autres types de financement et ceux là ne sont pas pris en compte dans le « coût unitaire » du travail. De plus, il faut mettre en rapport coût et productivité (qui est en France parmi les plus élevées au monde). Un niveau de protection sociale élevé permet à des salariés d’être en bonne santé pour une production d’une meilleure qualité. C’est donc tout un ensemble qu’il faut évaluer. La compétitivité d’un pays c’est aussi la qualité de sa main d’oeuvre, de ses services publics, de ses infrastructures. 

    Quels sont les atouts que le CESE développe dans son rapport ?

    Le conseil, tout en constatant un affaiblissement de la production industrielle en France, estime que notre pays a des atouts qu’il peut et doit valoriser, comme le niveau de qualification des salariés qui est très élevé. L’attachement au travail et à la qualité du travail sont aussi des éléments importants. De même, l’accompagnement au travail avec la présence de services publics de qualité, malgré une certaine dégradation, garantissant l’accès à l’éducation, à la santé doit également être considéré comme un avantage. De plus, la position géographique de la France est aussi une chance. L’ouverture sur la mer et la proximité avec les grands axes de circulation européens facilitent, la circulation des marchandises et place notre pays en bonne position pour les enjeux du développement durable.
    Aussi, le CESE n’attribue pas le problème de compétitivité de la France au coût du travail. Il aborde le coût du capital. Le Conseil constate notamment que la France, sur un résultat brut équivalent aux autres pays européens, distribue plus en dividendes aux actionnaires que la moyenne européenne au détriment de l’autofinancement et l’investissement.

    Le coût du travail n’est donc pas le problème numéro un pour développer l’industrie ?

    Le coût du travail est un terme patronal. Pour les patrons, le travail est facteur de production, une marchandise. Pourtant, s’il n’y a pas le travail, il n’y a pas de richesse produite donc ce n’est pas un coût. En employant ce terme, le patronat et le gouvernement nient la spécificité du travail humain, ce que sa richesse représente, ce que cela veut dire en termes de collectif de travail, associant l’idée d’épanouissement et d’utilité sociale. Le travail est aujourd’hui, en souffrance parce que cette dimension est bafouée. La stratégie patronale est d’exercer une pression maximum sur le travail pour démultiplier l’investissement de départ et le transférer quasi exclusivement aux actionnaires. En abordant la question du coût du capital, je trouve que l’avis du CESE met en évidence deux choses intéressantes dans la comparaison France/Allemagne. Il regarde ce qui se cache derrière le mirage. Avec la baisse des salaires, l’absence de SMIC et de protection sociale généralisée, l’Allemagne compte 14 à 15 millions de pauvres. Pas mieux que la France voire même pire, donc ! De plus, la faiblesse de la natalité allemande, engendrée principalement par le manque d’infrastructures d’accueil RAPPORT COMPETITIVITE DU CESEpour la petite enfance, oblige les femmes à choisir entre maternité et travail, sans pouvoir mener les deux de pair, menace l’avenir du pays. Il faut également noter des différences dans l’organisation des deux économies. La France est caractérisée par une sous-traitance en cascade, avec un rapport donneurs d’ordres sous-traitants à l’avantage des premiers au détriment des seconds. Outre Rhin, on parle plutôt de co-traitance. C’est-à-dire que le système germanique s’organise au travers de filière avec des entreprises qui coopèrent et assurent une certaine durabilité en terme de recherche, d’innovation, de commandes avec une vision à moyen terme. Ce qui est très loin d’être le cas en France. De même, le système patrimonial, la propriété de l’entreprise, n’est pas la même qu’en France. De plus en plus, les entreprises françaises sont possédées par des actionnaires dont le taux de rentabilité des actions est le seul objectif. En Allemagne, la propriété des entreprises reste à dominance familiale avec un système de transmission du patrimoine qui valorise la durabilité de l’entreprise. Enfin, le troisième aspect vise la finance. En France, nous avons des banques qui ne prêtent pas, en particulier aux PME. En Allemagne, le système bancaire est beaucoup plus décentralisé au niveau des Lander et davantage au service de l’investissement. La cgt devrait être à l’offensive sur cette question du coût du capital dans le débat politique actuel pour faire entendre une voix différente en posant la question de qui dirige la France, au service de quels intérêts ? Car l’intérêt financier à court terme ne peut pas être celui du pays.

    La mise en place de la TVA sociale serait-elle alors la réponse adéquate au manque de compétitivité ?

    Contrairement aux affirmations du chef de l’Etat, comme le souligne le rapport du CESE, la mise en place de la TVA sociale ne pourrait avoir provoquer un affaiblissement du coût des exportations qu’à condition que les entreprises le répercutent réellement sur les prix. Au contraire, le CESE s’inquiète des répercussions négativessur le pouvoir d’achat et la consommation donc au final sur la croissance. Le rapport de forces n’a pas permis d’aller jusqu’à répondre à la proposition de la CGT sur une modifi cation de l’assiette des cotisations patronales intégrant la valeur ajoutée et les revenus financiers. Mais notre proposition est citée et explicitée, au même niveau que la TVA sociale. Si la CGT est d’accord pour dire que le financement de la protection sociale ne repose pas exclusivement sur le travail, elle récuse toute idée de diminution des ressources de la protection sociale ou de transfert du financement sur les ménages ou les consommateurs. Pour la CGT, il s’agit de mettre le capital à contribution en modifiant l’assiette des cotisations patronales. Le projet garderait les cotisations salariales (le salaire socialisé) et patronales, mais modifierait le mode de calcul de ces dernières. Les cotisations patronales ne doivent plus être uniquement calculées sur les salaires, mais sur un ratio entre masse salariale et valeur ajoutée, incluant les revenus financiers des entreprises. L’objectif serait de faire contribuer davantage les entreprises à forte valeur ajoutée et forts revenus financiers mais peu d’emplois, et moins les entreprises qui privilégient l’emploi et les salaires. Nous proposons, en fait, un rééquilibrage entre entreprises selon la part qu’elles accordent à l’emploi dans leur valeur ajoutée. Par ce mécanisme, les entreprises seraient encouragées à développer l’emploi plutôt que la finance.

    Lorsque Nicolas Sarkozy annonce le basculement du financement de la politique familiale par les entreprises vers une augmentation de la TVA, est-ce que ce n’est pas la porte ouverte à la fin de notre modèle de protection sociale ?

    Le chef de l’Etat insiste sur le financement de la protection familiale car jusqu’à 1,6 fois le Smic, les entreprises ne payent déjà plus de cotisations sociales (seulement les salariés). Dans le budget de l’Etat, le montant de l’allégement des cotisations sociales représente entre 25 à 28 milliards d’euros chaque année. Aujourd’hui, le gouvernement s’attaque au financement de la politique familiale car c’est le seul levier qui lui reste pour alléger les cotisations patronales portant sur 50% des salaires du privé. Comme le patronat, le président de la République considère le travail comme une marchandise. Ils veulent pouvoir l’acheter prêt à l’usage et s’en débarrasser une fois usé. Auparavant les entreprises recrutaient les salariés à la sortie de l’école et assuraient leur formation professionnelle. Aujourd’hui elles veulent que l’école forme à l’emploi. C’est un transfert de charges des entreprises vers les contribuables. De même, avoir des enfants, c’est utile pour l’avenir de la société et donc des entreprises. Il apparait alors naturel que les entreprises soient mises à contribution. En fait, une partie du patronat souhaite bénéfi cier de toute la valeur produite par le travail, ne payer que le temps de travail effectif passé dans l’entreprise. Ils ne veulent plus du tout être assujettis au fi nancement, par le biais des cotisations sociales, pour participer au bien être du salarié et donc à son taux de productivité, c’est-à-dire, l’éducation et la formation avant de rentrer dans l’entreprise, le maintien d’un bon état de santé, la retraite et aussi la politique familiale. C’est donc encore un prétexte pour transférer les charges des entreprises vers les salariés. D’autant que cet argent ne sera probablement pas utilisé pour augmenter les salaires ou investir dans l’entreprise. N’oublions pas que la France est le pays d’Europe où les actionnaires empochent la plus grosse part des richesses produites. De plus, la France est classée au 14e rang européen pour les salaires des employés, mais elle est sur la plus haute marche du podium pour les rémunérations des dirigeants. C’est peut être de ça que l’on devrait parler pour la France, de ce qu’il faut changer, des inégalités sociales, de l’utilisation de l’argent, des richesses produites ?

    L’argument de la compétitivité est utilisé pour «assouplir» le code du travail en proposant d’instaurer des accords dits de compétitivité au niveau de chaque entreprise. Quels seront les effets de cette mesure pour les salariés ?

    C’est une mesure très grave. Sarkozy, sous le joug du MEDEF, veut que les accords d’entreprises ne soient plus tenus de respecter la loi. C’est ce que l’on appelle l’inversion de la hiérarchie des normes. C’était la volonté de Seillière lorsqu’il a bâti le MEDEF sur un objectif de « refondation sociale ». Selon celui-ci , lorsqu’un accord est signé dans une entreprise, la loi n’a pas à s’appliquer dans celle-ci. On pourrait alors faire n’importe quoi par accord collectif. On a déjà vu des entorses allant dans ce sens avec la loi Fillon, sur le dialogue social en 2004 permettant la négociation des accords dérogatoires. De même, la loi de 2008 sur la représentativité syndicale et les négociations collectives autorise les employeurs à déroger à la durée légale du travail, aux conditions de modulations horaires et aux heures sup. Aujourd’hui, ils veulent aller encore plus loin. Il serait ainsi possible, par accord collectif, de modifier la durée du travail et le niveau de rémunération horaire. C’est à- dire que le contrat collectif signé dans l’entreprise entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives s’appliquerait automatiquement aux salariés sans respecter les clauses du contrat de travail. Le salarié devra accepter ou démissionner, quelle que soit la taille de l’entreprise. Cet accord compétitivité ferait disparaitre cette clause très importante en matière de licenciement sur la reconnaissance de la modification substantielle du contrat de travail.

    Quelles sont les pistes dégagées par le rapport du CESE sur lesquelles la CGT pourrait s’appuyer notamment dans le cadre de la campagne pour le développement de l’emploi et l’industrie ?

    En partant de la définition de la compétitivité, en particulier sur le haut niveau de vie et de protection sociale durables de la population, il y a une masse de besoins sociaux insatisfaits en France. De plus si on intègre les préoccupations environnementales pour préserver l’avenir de la planète et réaliser des économies d’énergie, le développement d’une industrie de proximité est incontournable. Je pense qu’en matière de politique industrielle, il faut réfl échir en termes de fi lière, de complémentarité entre différents types d’industries et types d’entreprises avec un maillage territorial répondant aux besoins sociaux et respectant l’environnement. Je ne suis pas en train de dire que nous devons nous replier sur le territoire national. Je pense, au contraire, qu’il est nécessaire de développer des coopérations avec les autres pays dans l’intérêt des peuples pour satisfaire leur besoin, mais pas pour se faire la guerre économique les uns contre RAPPORT COMPETITIVITE DU CESEles autres. C’est pourquoi, je crois qu’il faut donner confi ance aux salariés de France, dans leurs capacités. Ils ont aussi des qualifications très élevées dont ils ne sont pas forcément conscients et qui ne leurs sont pas payées. De plus, nous avons un rapport au travail très exigeant en France. Des enquêtes récentes soulignent que dans l’hexagone, plus que dans le reste du monde, la valeur attribuée au travail est très forte. Je crois que c’est aussi un point d’appui important pour un renouveau industriel à condition d’être sur une stratégie de développement, d’innovation, et d’investissement massif dans la recherche et dans les qualifi cations. En fait, au lieu de démanteler nos industries et nos acquis sociaux, il serait plus constructif de valoriser nos atouts tout en gardant assez d’esprit critique pour tirer parti des expériences des autres, dans leurs réussites et dans leurs échecs. Par exemple, en travaillant sur les questions d’innovation et de recherche, en se donnant les moyens de regarder loin, je pense que la France n’a pas dit son dernier mot. Nous avons beaucoup d’atouts, nombreux sont ceux qui nous les envient, nous sommes peut être les seuls à ne pas en avoir conscience.

    La fin de l’industrie n’est donc pas une fatalité, même dans la tête du patronat ?

    Le modèle d’entreprises « sans usines » vanté il y a quelques années, ne trouve plus écho aujourd’hui. Il y a une prise de conscience que le « tout finance » conduit au désastre. Il y a des contradictions aussi à l’intérieur du patronat, entre par exemple les dirigeants de certaines PME ou TPE qui travaillent vraiment dans leur entreprise mais ont peu de moyens économiques pour se faire entendre, et des dirigeants qui ont la folie des grandeurs pour leur portefeuille personnel mais sacrifi ent l’industrie. Ce n’est pas pour rien que le MEDEF résiste à toute idée de règle de représentativité pour les organisations patronale. Il veut garder la haute main sur les choix économiques et sociaux et sur la bataille idéologique. Nous devons donc avoir une réfl exion sur la taille des entreprises, leurs structures patrimoniales et capitalistiques. Il ne faut pas idéaliser les PME, cependant, il y a quelque chose à travailler pour modifi er le tissu économique et permettre une véritable vie économique à côté des grands groupes. Par exemple trop souvent les patrons de PME se plaignent des charges. Il serait intéressant de démontrer que les charges qui pèsent le plussur les PME et TPE ne sont pas forcement les salaires. Combien leur coûtent l’accès aux crédits, les délais de paiement clients fournisseurs, les inégalités dans la fiscalité au profit des grands groupes ? Nous n’occupons pas assez ce créneau. Il faut travailler les contradictions et damer le pion à la puissance du MEDEF et des grands donneurs d’ordres.

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