Une plongée dans le quotidien d'une raffinerie de pétrole implantée sur l'estuaire de la Loire où des centaines d'hommes travaillent à la transformation du brut en pétrole.

Bleu Pétrole.

 

Un film documentaire, réalisé par Nadège Trebal, sort au cinéma le 30 mai 2012.

“ Je ne viens pas de la classe ouvrière et je n’en suis pas la porte-parole. Je crois que ce décalage est important, qu’il permet de faire oeuvre. À chaque endroit où l’on se place, il y a un champ de vision et les angles morts qui vont avec. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’on ne voit pas. À mon sens, le réel se donne quand on le regarde par le petit bout de la lorgnette car cela permet de faire sentir l’existence du hors-champ. Faire du cinema - qu’il soit documentaire ou fictionnel - c’est faire avec l’opacité du réel, ne pas prétendre tout comprendre. Filmer une chose à la fois (je n’ai pas filmé les patrons pour ne pas tomber dans le débat d’idées). Le travail des syndicalistes est un travail de fourmi, de déchiffrage.

Plus je passais du temps avec eux, plus je me rendais compte que l’essentiel de leur travail consiste à écrire et à lire. Ce sont des auteurs, des commentateurs talmudistes dont le code du travail serait leur bible. C’est un travail physique qui fait mal au crâne. La pensée est prosaique. Elle n’a rien d’éthérée. La pensée ce n’est pas seulement un discours mental, c’est un effort physique dont j’ai cherché à capter les signes. Filmer la circulation de la parole, ce n’est pas filmer le ballon. C’est montrer comment une personne voit arriver le ballon, l’anticipe, feinte et, comme le réusissait Pelé, fait une passe à l’aveugle.  Les syndicalistes cherchent la brèche dans le texte et on s’aperçoit très vite que ce qui fait loi est rarement de leur côté. C’est écrit en langage de lutte des classes.
À cet égard, la question de dramaturgie qui se posait à moi était : comment raconter le nombre? Comment montrer, alors même qu’elle est sous-représentée et qu’elle a été délaissée par la politique, que la classe ouvrière existe ? Bleu pétrole n’est pas un film militant, mais c’est un film politique.

Cinématographiquement, ce qui aussi m’intéresse, c’est l’inscription des corps dans un espace (le modèle absolu étant Le Désert rouge d’Antonioni), la sensualité des corps  - qu’ils travaillent ou fument une cigarette pendant une pause au soleil. L’usine Total est filmée comme un personnage. Quand quelqu’un prend du plaisir dans un décor écrasant comme l’est celui de la raffinerie de Donges, il y a quelque chose de subversif, de résistant. Que cette résistance soit pensée (comme dans le local syndical) ou pas.
Ce qui est attristant, c’est que le capitalisme a réussi à faire croire à tous - et même à ceux qui en souffrent le plus - qu’il n’y a pas de salut en dehors de lui. C’est une victoire idéologique puisque c’est l’idée que c’est le meilleur système qui fait carburer tout le monde. Cette aberration est fascinante. Pour autant, il y a des gens qui résistent. J’ai voulu montrer que cette résistance pouvait réussir, que tout n’était pas joué. Au fond, le dénominateur commun de tous les gens que j’ai filmés, c’est la virilité. Chaque homme est à lui-même son propre tuteur. À ce titre, le film peut être vu comme une rêverie sur la virilité. Il y a un côté Tant qu’il y aura des hommes dans le film : j’ai essayé de capter la splendeur des hommes. L’usine est une espèce de grande matrice féminine qui avale les hommes, les recrache, les vide, les épuise, les lessive. Mais sans les castrer. Ils bandent encore, sinon cela n’aurait eu aucun intérêt de les filmer. Il n’ y a rien de plus romanesque que la force des faibles.

Lire la critique du Monde