• Immigrées et femmes  : la double peine...

    Immigrées et femmes  : la double peine...En Arabie saoudite, Adiba était quelqu’un  : diplômée, vétérinaire. Ici, en France, elle n’est rien  : sa carte de séjour « vie privée et familiale», la seule qu’elle peut avoir, ne vaut qu’autant qu’elle est mariée et vit en couple. Sans son conjoint, elle n’a plus de droits, plus qu’à faire ses valises. Adiba le sait  : d’urgence, à tout prix, elle doit convaincre son mari, qu’elle n’aime plus, de revenir à la maison.

      Pour l’instant, elle enchaîne, de nuit, les nettoyages dans des succursales désertes. Elles sont des milliers de femmes immigrées à assurer des métiers difficiles et sous-payés dans la plus grande invisibilité. Elles ne votent pas, personne n’en parle, sauf pour les stigmatiser. Elles font ce que personne ne veut faire  : les ménages, l’aide à domicile, les tâches les plus fatigantes à l’usine, du nettoyage noyé dans les détergents, le dos cassé, les mains abîmées, les poumons et les yeux rongés par les produits chimiques. Immigrées et femmes  : la double peine...En silence, angoissées de perdre leur place, corvéables à merci. La paye est si faible et si précieuse. Intérêt bien compris  : elles ne se plaignent pas. Immigrées et femmes, cumul de handicaps au travail, nulle n’a le choix, elles font et se taisent.

    En Île-de-France, les deux tiers des employées des entreprises de nettoyage sont immigrées. Ici comme ailleurs, la sélection dans l’affectation des salariées n’a rien du hasard  : en termes d’horaires, d’organisation du travail, de tâches. La gestion des ressources humaines est simple  : plus c’est dur, long, haché, du travail en miettes et sous-payé, plus c’est pour les femmes immigrées.

    Adama nettoie des bureaux vides, 52 heures par semaine, le matin dès 5 heures, puis le soir, après 21 heures. Personne dans l’entreprise ne l’a jamais saluée, la plupart ne l’ont jamais vue. Chaque jour, elle lave les poubelles, les toilettes, passe un chiffon sur les photos de famille que les cadres placent près de l’ordinateur. Pour qu’elles soient nettes et parce que la famille, Adama dit que c’est important. Pour eux, elle n’est personne. De façon invisible mais quotidiennement, les femmes immigrées sont, en même temps, victimes d’un racisme au travail qui se vérifie jusque dans le chômage  : elles ont deux fois plus de risque de s’y retrouver que les femmes non immigrées, déjà surexposées par rapport aux hommes. Cela ne vaut que pour celles à qui est laissée la possibilité de travailler… de travailler officiellement. Car la précarisation accélérée des titres de séjour rejette toujours plus d’immigrées dans le travail illégal. Encore moins payé. Sans droits. Sans recours. Sans choix des conditions de travail. Sans moyen de se défendre  : ni prud’hommes, ni pénal en cas d’agression, de vol ou de viol. Alors elles travaillent de nuit seulement. Et ensuite, vers 5 heures, 4 parfois, elles convergent vers les préfectures. Partout en France. Pour obtenir un titre provisoire de séjour, le nœud au ventre, car chacune sait que dans la file d’attente, rien ne protège de l’expulsion. Avec de la chance, elles seront peut-être reçues aujourd’hui. Elles s’apercevront alors que les frais de dossier ont encore augmenté, quand la carte de séjour coûte plus de 300 euros  ! Sur ce qu’elles ont gagné en une semaine, il ne restera rien. On les menace, en plus, de leur retirer les allocations familiales si leurs enfants s’absentent trop de l’école. Mais comment pourraient-elles suivre leur scolarité, elles ne les voient pas. Elles travaillent quand ils rentrent. Elles reviennent lorsqu’ils dorment. Immigrées et femmes  : la double peine...

    Ces femmes sont souvent entrées « par la bande » dans le monde du travail. Leur arrivée permettait de « fixer » la main-d’œuvre immigrée masculine. En retour, le moindre divorce remet en cause leur droit au séjour et leur possibilité de travailler. Elles ne demandent pas grand-chose, simplement qu’on leur reconnaisse, comme à toutes les femmes, des droits individuels.

    Ce sont les premières à expérimenter les contournements d’un droit du travail réduit comme peau de chagrin. Elles vivent avant d’autres ce que tant de femmes vivront. C’est du Eugène Sue  ? Non. C’est chaque matin, dans nos entreprises, nos hôpitaux, chez nos grands-mères, dans les files d’attente interminables des préfectures, des ombres parmi les ombres.

    Anne-Charlotte Jelty et Gaëlle Rougerie

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