• Guerre en Irak : les alliances hétéroclites qui renforcent l’Etat islamique en Irak et au Levant

    Guerre en Irak : les alliances hétéroclites qui renforcent l’Etat islamique en Irak et au LevantDepuis la prise de Mossoul, le 10 juin, et durant la course effrénée qui l’a mené jusqu’aux faubourgs de Bagdad, l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n’a pas seulement accumulé les victoires, il a aussi grossi ses rangs. Selon l’un de ses porte-parole, « 12 000 Irakiens » auraient ainsi été recrutés sous l’étendard noir du djihad. Ses troupes pourraient compter 20 000 combattants, selon des estimations hautes.

     

    L’effet de surprise dont l’EIIL a bénéficié au début de son offensive, le 6 juin, et la relative attraction que celui-ci semble exercer sur la population sunnite déforment la perception qu’on peut avoir de la puissance de ce groupe. L’Etat islamique, qu’on a vu se mettre en scène dans des vidéos ultraviolentes et dont les combattants sont invariablement dépeints par le premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, comme « une horde de terroristes », n’est finalement que le visage terrifiant et ultramédiatique d’une large coalition sunnite mêlant de nombreux groupes aux idéologies diverses.

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    Les nostalgiques de Saddam Hussein, anciens officiers baasistes

    Cet assemblage hétéroclite peut se diviser en quatre catégories, dont la première rassemble des anciens officiers baasistes de l’armée de Saddam Hussein, constitués en groupes armés dans le sillon de l’invasion américaine de 2003 et qui n’ont, depuis, jamais rendu les armes. Ces nostalgiques du raïs déchu considèrent illégitimes les nouvelles autorités de Bagdad et sont restés actifs, même après le rapatriement des derniers soldats américains par Barack Obama, en décembre 2011. Les plus irréductibles d’entre eux ont rejoint l’Armée de la voie de Nakchabandi, dont la figure de proue n’est autre que Ezzat Ibrahim Al-Douri, le plus haut dignitaire de l’ancien régime toujours en fuite.

    Ami intime de Saddam Hussein, qui l’avait nommé vice-président du Conseil de commandement de la révolution, Ezzat Al-Douri est par ailleurs membre des Nakchabandi, une confrérie soufie qu’avaient embrassée, selon ses adeptes, les compagnons du Prophète ainsi que le premier calife. L’appellation est trompeuse, car si les soufis sont théoriquement pacifiques, les Nakchabandi d’Irak ont fourni de redoutables officiers de renseignement, civils et militaires, sous le règne de Saddam Hussein. Après la chute de ce dernier, ils ont régulièrement mené des opérations conjointes avec Al-Qaida.

    Cette alliance d’opportunité, parfois tissée dans l’obscurité des prisons où leaders baasistes et djihadistes étaient enfermés côte à côte, a perduré jusqu’à l’apparition de l’EIIL. Comme l’Etat islamique, l’Armée de la voie de Nakchabandi est une habituée du territoire syrien, longtemps utilisé comme base arrière. De sources concordantes, ce groupe est le plus puissant et le premier allié de l’EIIL en Irak. Jeich Al-Rachidine, l’Armée des guides, active au nord de Bagdad et près de Ramadi, appartient à la même catégorie d’irréductibles baasistes, sans avoir la même influence.

    Les proches des Frères musulmans

    La deuxième catégorie comprend des groupes tels que les Brigades de la révolution 1920 ou le Front islamique pour la résistance irakienne, proches des Frères musulmans, dont le chef de la branche irakienne, Hareth Al-Dhari, vit en Jordanie. Longtemps opposés à Al-Qaida, les Frères d’Irak ont participé à la création des milices sunnites Sahwa, financées et armées par les Etats-Unis pour combattre les djihadistes. En retour, Al-Qaida n’a pas hésité à assassiner le neveu d’Hareth Al-Dhari, en 2009. Officiellement, toutes formes d’opération-suicide sont interdites par la confrérie.

    Les groupuscules armés sunnites

    La troisième catégorie englobe la multitude de groupuscules armés sunnites, de tendance baasiste ou islamiste à l’influence locale, qui avait pris les armes contre les Américains après 2003. La plupart avaient intégré les milices Sahwa ou s’étaient mis en sommeil après le départ des troupes américaines.

    Exceptée l’Armée de la voie de Nakchabandi, alliée de la première heure, tous ces groupes semblent avoir intégré la coalition menée par l’EIIL après les grandes manifestations de début 2013 qui dénonçaient la marginalisation, l’oppression et les injustices dont la communauté sunnite a été victime sous le gouvernement Maliki.

    Les chefs de tribu

    La quatrième et dernière catégorie est formée par les chefs de tribu, au sein de conseils militaires révolutionnaires qui ont vu le jour dans presque toutes les villes sunnites d’Irak après la dispersion brutale de ces manifestations. Au final, le spectre de cette coalition est si large qu’il est difficile de trouver des points communs entre ses membres, mis à part le fait qu’ils sont sunnites et très radicalisés.

    Un pacte avec le diable ?

    L’EIIL peut difficilement tenir les territoires remportés récemment sans l’aide de ces groupes et sans l’accord tacite d’une partie de la population. Les djihadistes ont par ailleurs besoin de compétences spécifiques que possèdent les anciens officiers baasistes, s’ils veulent utiliser certaines armes et engins militaires qu’ils ont pris à l’armée. Alors qu’ils approchent de Bagdad, ils ont enfin besoin de la connaissance du terrain que seuls des locaux peuvent leur apporter.

    Les sunnites d’Irak, en acceptant la mainmise des djihadistes, ont-ils fait un « pacte avec le diable », ainsi que le suggère le titre d’un récent rapport de l’International Crisis Group (ICG) sur Fallouja, première ville d’Irak à être tombée, début janvier, sous le contrôle de l’EIIL ? «  Beaucoup ont peur [de l’EIIL], tout en les laissant faire, car notre situation est devenue inacceptable, explique un habitant de Mossoul. Nous nous sommes retrouvés pris en étau entre, d’un côté, un dirigeant irakien qui tyrannise et humilie les sunnites d’Irak et, de l’autre, un dirigeant syrien qui a décidé d’exterminer les sunnites de Syrie. Cela a radicalisé la population. »

    Les insurgés irakiens profitent, pour l’instant, de la terrible force de frappe de l’EIIL pour mener à bien ce qui pourrait s’apparenter à une reconquête du pays sunnite. Mais où s’arrêtera cette folle cavalcade ? Selon un chef de tribu joint par Le Monde au téléphone, cheikh Rafaa Al-Joumaïli, combattant près de Fallouja, la coalition sunnite alliée à l’EIIL s’inquiète de ce qu’une partie du butin en armement a été transférée en Syrie. Elle aurait aussi présenté à l’EIIL une série de points qu’elle souhaite négocier.

    La coalition « veut limiter sa collaboration armée avec l’EIIL à l’intérieur des frontières irakiennes et réduire le nombre de combattants étrangers, afin, assure-t-il, de montrer que cette guerre vise uniquement le gouvernement irakien ». « L’EIIL doit comprendre que leur idée d’un Etat islamique fait peur et que cela risque de fournir à Maliki le soutien du monde entier. La coalition demande aussi la fin du djihad contre les chiites. » Des responsables de l’EIIL auraient accepté d’étudier ces demandes, « ce qui est déjà très positif », conclut le cheikh.

    Cécile Hennion Journaliste au Monde

    « Qu’est-ce que le non-recours aux droits sociaux ?Droits de la nature, mythe ou réalité ? »

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