• Entretien avec le Secrétaire Général de la CGT

    Entretien avec le Secrétaire Général de la CGTPlus de 100 manifestations dans toute la France pour fêter ce premier Mai du quinquennat de François Hollande alors que les promesses de changement ont tourné court. Chômage et précarité explosent et à l’Assemblée, les parlementaires viennent d’entériner un projet de loi estampillé MEDEF qui démantèle le Code du travail. Dans ce contexte, Thierry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, dessine l’Etat Social de la France et avance des propositions pour sortir de la crise.


     

    HD. Selon une enquête de « 60 Millions de consommateurs », 58% des Français disent se préparer à réduire leur consommation. Qu’en pensez-vous ?


    Thierry Lepaon : c’est révélateur de la crise que nous traversons. Certains ont vu leur pouvoir d’achat réduit parce que leur salaire n’a pas augmenté. Le « coup de pouce » de 20 euros accordé au SMIC en Juillet dernier n’était pas de nature à le relancer. D’autres craignent de perdre leur emploi et réduisent leur consommation au maximum, pour épargner en prévision d’un coup dur. Enfi n, dans ce climat morose et incertain, même ceux qui ont les moyens de consommer se freinent aussi. Cela démontre l’urgence de l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat.


    HD. Dans ce contexte de fl ambée du chômage et de mauvais coups portés aux salariés, les syndicats peinent à mobiliser, comme on l’a vu le 5 Mars et le 9 Avril derniers. La droite, elle, met des centaines de milliers de personnes dans les rues contre
    le mariage pour tous. Comment expliquer ce décalage ?


    T.L. Le chômage augmente sans discontinuer depuis 24 mois. Les licenciements se multiplient. Il y a ceux dont on parle et ceux dont on ne parle jamais, comme les non- renouvellements de CDD, les fins de missions d’intérim ou les ruptures conventionnelles. Chômage, licenciements et développement de la précarité créent un contexte peu favorable aux luttes. Et pourtant, là où existent des syndicats, la riposte s’organise. En témoignent les luttes dans l’automobile ou dans l’agroalimentaire, comme celle des salariés de Fraisnor que j’ai rencontré au siège de la CGT ce Lundi. Là où il n’y a pas de syndicat, les salariés ne disposent pas de lieu pour débattre ce qui leur arrive. Ils se retrouvent victimes individuelles d’un préjudice qui est collectif En ce qui concerne l’accord national interprofessionnel (ANI) sur l’emploi, les objectifs affi chés par le président de la République et le premier ministre, en Juillet, lors de la conférence sociale, n’ont rien à voir avec la copie rendue par le MEDEF et les syndicats signataires. On nous demandait de sécuriser l’emploi, de travailler sur les déroulements de carrière…Au fi nal il n’y a rien eu de tout cela ! Beaucoup de salariés ne mesurent pas encore combien cet accord leur est préjudiciable. La division syndicale jette le trouble. Que penser d’un texte applaudi par trois syndicats et dénoncé par deux autres ? Ce texte, en utilisant des termes que nous revendiquons, tels que « droits opposables ou transférables », entretient la confusion dans la tête de beaucoup de salariés, d’autant qu’il est présenté par un gouvernement qu’ils ont contribué à mettre en place en chassant Nicolas Sarkozy par les urnes.


    HD. Peut-on parler de peur ?


    T.L. Sans doute. Le travailleur privé d’emploi a pour principale préoccupation d’en trouver un ! Le salarié précaire cherche d’abord à sortir de la précarité. Celui qui possède un emploi peut-être tenté de céder quelque chose, s’il pense que cela pourrait l’aider à le conserver. S’il n’y a pas de syndicat dans l’entreprise, il n’y a pas de débat contradictoire, pas d’alternatives à la stratégie de l’entreprise et aux décisions de l’employeur. Nous sommes au coeur de l’enjeu de notre dernier congrès quand nous affi rmons notre choix d’un syndicat utile, accessible et solidaire. Un syndicalisme utile, c’est faire la démonstration que l’activité syndicale permet d’obtenir des avancées. Et de ce point de vue, il existe nombre d’entreprises où, sans la CGT, il n’y aurait pas eu d’augmentation de salaires, d’emplois préservés ou d’embauches réalisées. Un syndicalisme accessible car, aujourd’hui, il y a trop d’endroits où nous ne sommes pas implantés. Chaque salarié doit pouvoir facilement rencontrer la CGT, quels que soient, son statut et son lieu de travail. Un syndicalisme solidaire qui ne défend pas seulement les salariés d’une entreprise, mais aussi ceux d’un site, d’une fi lière, d’un groupe, d’un territoire.
     

    HD Le doute ne porte-t-il pas sur la capacité à gagner face au patronat ?
     

    T.L. Ce doute existe. La division syndicale l’alimente. Si cinq syndicats disaient ensemble qu’il est possible d’augmenter les salaires, il n’y aurait pas de doute. Le gouvernement a une responsabilité dans la situation. Il a cédé aux injonctions du MEDEF sur le contrat de travail, sur la mobilité, la fl exibilité. Mais qui fait la loi dans ce pays, les employeurs ou les élus et le gouvernement ? En agissant ainsi le gouvernement a semé le doute et empêche les salariés de s’engager dans une mobilisation contre le MEDEF. Au contraire, la démarche de la CGT est de rassembler les salariés à partir de leurs attentes sociales, et de rechercher l’unité des organisations syndicales pour plus d’efficacité.
     

    HD. Un sentiment d’abandon peut conduire certains salariés à voter front National. Que leur dit la CGT ?
     

    T.L. Les salariés ont le sentiment que le soir, à 20 heures, on leur parle de tout sauf de leurs préoccupations. Les principales préoccupations des Français sont l’emploi et les salaires. Ma retraite sera-telle suffi sante et financée ? Mon fils va-t-il pouvoir aller à l’école et recevoir une formation de qualité ? A ces questions, aucune réponse n’est apportée. Les salariés ont vécu une époque douloureuse avec Sarkozy. Ils l’ont chassé du pouvoir. Ils attendent le changement annoncé. Dans la crise politique, économique et sociale que nous traversons, le discours du FN, ses pseudo-solutions paraissent compréhensibles et accessibles à ceux qui sont dans le désarroi. La déception engendrée conduit à un retour des idées du Front National alors que la campagne que nous avons menée avait permis de les faire reculer. Fidèle à son histoire, la CGT jouera son rôle pour faire reculer les idées d’extrême droite. Nous regrettons que les autres organisations syndicales, au nom du refus de faire de la politique, ne s’engagent pas contre ces idées contraires aux intérêts des travailleurs. L’urgence, c’est d’arrêter les politiques d’austérité en France et en Europe.


    HD. PSA, Pétroplus, Arcelor Mittal apparaissent comme des batailles perdues. Que peut encore faire la CGT ?
     

    T.L. depuis des années, l’Etat a renoncé à se mêler de politique industrielle. Il laisse le soin aux actionnaires de décider de ce qui est bon ou pas. Monsieur Mittal décide si on doit encore ou non produire de l’acier en France. Il a même l’arrogance d’affirmer que les salariés en France sont 20% plus chers qu’en Espagne, alors qu’il a fermé toutes les aciéries espagnoles ! Dans l’automobile, le niveau de remise commerciale accordée à l’acheteur est supérieur aux salaires et cotisations sociales. Par ailleurs, le gouvernement a laissé Renault faire des rachats ou des alliances dans le cadre de la mondialisation sans se soucier du devenir industriel. Enfi n, avec Pétroplus, on laisse les géants du pétrole décider du lieu où on va raffiner. L’Etat accepte sans broncher cette délocalisation qui accroit notre dépendance aux importations de produits finis.


    HD. 11 200 emplois sont menacés chez PSA. La CGT s’y bat avec toutes les armes possibles : plan alternatif, grève depuis le 16 Janvier à l’usine d’Aulnay, recours en justice contre le PSE…Quel message la confédération peut-elle adresser à ces salariés ?


    T.L. Les actionnaires de PSA ont mis trois ans à réfl échir à leur plan. Ils pensaient qu’en quelques jours ce serait accepté. Pas de pot ! Il y a des gens dans ce pays qui redressent la tête, qui se battent, qui essaient d’organiser l’action collective, l’action juridique, qui essaient de faire valoir leurs droits tout simplement. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui décident de mener le combat. On voit bien que c’est diffi cile. Il n’échappe à personne que l’on va produire autant de voitures avec moins de salariés. Pour ceux qui vont rester, les conditions de travail vont être aggravées, dans un secteur où plus de 50% des salariés ont une incapacité de travail d’au moins 20%. Les seuls qui sont épargnés dans les restructurations, ce sont les actionnaires et la famille Peugeot. Personne ne pense parmi les gouvernants à leur dire : pendant des années, vous vous êtes enrichis, qu’allez-vous mettre au pot aujourd’hui ? C’est quand même çà, le rôle d’un actionnaire. Même ça personne n’ose leur dire !


    HD. Considérez-vous l’ANI comme un combat perdu ?


    T.L. non. La question essentielle posée par l’ANI, c’est de savoir si le travail est un coût ou une richesse. C’est un véritable débat que la CGT fait émerger dans le pays face à la seule rengaine : « il faut s’adapter. » Ce débat commence à traverser aussi les syndicats de salariés, ainsi que l’Assemble Nationale. Des députés ont voté contre, d’autres n’ont pas pris part au vote, se sont abstenus, étaient absents au moment de voter…Au Sénat, on a utilisé la procédure du vote bloqué. Cela démontre pour le moins l’embarras du gouvernement. Le seul argument du ministre du travail, c’est de dire il y a un accord signé majoritaire. Autrement dit, tout projet de loi concernant les salariés devra désormais être estampillé « vu par le MEDEF ». Mais le MEDEF n’est pas au bout de ses peines. Désormais, l’ANI va se jouer dans les branches, dans les entreprises où des accords sont nécessaires pour qu’il s’applique. Le débat évacué au niveau national va resurgir : pourquoi la branche ou l’entreprise demande-t-elle aux salariés de travailler plus pour gagner moins ? Les salariés vont commencer à mesurer concrètement les conséquences de cet accord. Quand on dit aux salariés : « vous travaillerez 5 heures de plus par semaine sans augmentation, vous allez laisser 7 jours de RTT sur 15 à l’entreprise », ils réagissent. De plus les syndicats devront représenter 50% des voix aux élections professionnelles pour valider de tels accords. Or, dans certaines branches, les trois syndicats signataires de l’ANI au niveau national n’y parviennent pas.


    HD. Dans un contexte difficile pour les salariés, on a jamais eu autant besoin d’un 1er mai dynamique. Peut-on l’espérer ?


    T.L. Au congrès confédéral de la CGT, j’ai lancé aux organisations syndicales un appel à l’unité le 1er Mai, sans pour autant passer sous silence nos désaccords. En France, affi cher une division syndicale au moment où le MEDEF a les dents longues et l’oreille du gouvernement, c’est lui faire un cadeau extraordinaire. Lors de ce Congrès, j’ai écouté les camarades des organisations internationales. La situation des salariés dans le monde appelle le  syndicalisme à intervenir à l’échelle mondiale et à la solidarité entre les salariés. Certains nous ont expliqué qu’ils avaient été emprisonnés, privés de droits et de travail. Le 1er Mai, c’est l’occasion d’affi rmer notre solidarité avec des syndicalistes qui, partout, dans le monde sa battent pour leurs droits. Les syndicats Français, ensemble, leur devaient au moins cela. Plus que jamais il y a aussi un besoin de réaffi rmer une solidarité des travailleurs en Europe. La CFDT, par exemple, renvoie la responsabilité de la division sur la CGT, estimant avoir été insultée par des militants au cours du congrès…Un Congrès Confédéral, c’est un lieu d’expression des syndicats de la CGT. Les camarades expriment avec leurs mots ce qu’ils ressentent. Et ils ont vécu comme une agression le fait de voir la CFDT signer si rapidement économique et fi nancière. Notre ambition c’est de remettre la question du travail au centre du jeu. Et donc de redonner du sens.


    HD. Et dans cette crise morale, que pensezvous de la campagne contre le mariage pour tous ?


    T.L. La droite utilise un ressort que l’on connaît bien dans notre pays qui vise à cliver et diviser. Elle mène un combat politique contre le gouvernement sans le dire. Le mariage pour tous, c’est un droit que l’on donne aux uns, sans enlever quoi que ce soit aux autres. La CGT revendique l’égalité des droits pour tous les couples. Sous couvert d’un collectif visant soi-disant à protéger la famille, on voit bien que ce sont la droite la plus rétrograde et l’extrême droite qui mènent la danse. Mais sur le terrain économique et social, on ne les entend pas beaucoup…C’est normal compte tenu de leur bilan. un accord aussi nocif. S’ils ne l’expriment pas lors du Congrès, où le feront-ils ? Cela n’empêche pas que la démarche du « syndicalisme rassemblé » ait été confirmée par plus de 85% des syndicats réunis en Congrès. Et puis, je veux bien recevoir des leçons mais pas de tout le monde et pas n’importe quand. Que chacun balaye devant sa porte.


    HD. Les syndicats apparaissent donc divisés face à un MEDEF qui semble durcir sa ligne. L’UIMM vient de choisir Pierre Gattaz, qui n’est pas le plus « modéré » des prétendants, comme candidat à la succession de Laurence Parisot. Qu’estce que cela augure ?


    T.L. Le choix du président du MEDEF, c’est leur problème ! Mais
    forcément, j’observe. En accordant 20 milliards d’euros de crédit d’impôt au patronat qui l’avait à peine demandé, puis en transcrivant l’ANI, le gouvernement fait fausse route. Ceux qui pensent
    que le MEDEF va se calmer une fois qu’il aura ce qu’il veut se trompent. Il n’en aura jamais assez. Et c’est pour cela que le patronat durci le ton.


    HD. Au-delà de la crise économique et sociale, il y a aussi une crise politique : affaire Cahuzac, contestation du mariage pour tous…Vous avez écarté l’idée d’une participation de la CGT à la manifestation du 5 Mai à laquelle appelle le front de gauche, « contre la finance et l’austérité et pour une VIème République ». Pourquoi ce refus ?


    T.L. Il y a plusieurs raisons. D’abord la construction d’une VIème République est une question politique. On peut ressentir le besoin d’une nouvelle République, mais ce n’est pas au syndicalisme d’en définir les contours. Notre volonté, c’est de rassembler les salariés, et non d’introduire de la confusion, y compris dans la CGT. Enfin, il y a la méthode. Quand un homme dit « je fais une manif, venez ! », la CGT ne répond pas à ce genre d’invitation.


    HD. Mais face à cette crise politique que peut faire le premier syndicat du pays ?


    T.L. Nous allons essayer de remettre les choses dans l’ordre. La plupart affi rment que c’est la crise fi nancière qui a engendré une crise économique et sociale, qui a engendré une crise politique et une crise morale. Nous pensons que c’est exactement l’inverse. Il y a une crise du travail dans ce pays. C’est parce que le travail est insuffisamment valorisé, payé, reconnu, qu’il y a une crise économique et fi nancière. Notre ambition c’est de
    remettre la question du travail au centre du jeu. Et
    donc de redonner du sens.
    HD. Et dans cette crise morale, que pensezvous de la campagne contre le mariage pour tous ?
    T.L. La droite utilise un ressort que l’on connaît bien dans notre pays qui vise à cliver et diviser. Elle mène un combat politique contre le gouvernement sans le dire. Le mariage pour tous, c’est un droit que l’on donne aux uns, sans enlever quoi que ce soit aux autres. La CGT revendique l’égalité des droits pour tous les couples. Sous couvert d’un collectif visant soi-disant à protéger la famille, on voit bien que ce sont la droite la plus rétrograde et l’extrême droite qui mènent la danse. Mais sur le terrain économique et social, on ne les entend pas beaucoup…C’est normal compte tenu de leur bilan.


    HD. Vous évoquez la crise du travail, sous ses différents aspects. Quelles sont les propositions de la CGT pour y faire face ?
    T.L. La question prioritaire des Français, c’est l’emploi. La clé, c’est la croissance. Nous sommes en récession, appelons les choses par leur nom. La manière dont elle a été installée vise à faire accepter et à mettre en oeuvre les contraintes du pacte de stabilité européen. La seule obsession des gouvernements européens, c’est de mettre les salariés en concurrence en France, en Europe et dans le monde, pour diminuer ce qu’ils appellent le coût du travail. Les actionnaires, eux, n’ont jamais été aussi bien rémunérés. Les dividendes explosent, les richesses créées ne servent pas ça, investir mais on à gonfler la bulle fi nancière. Et on voit aujourd’hui le scandale que constituent les paradis fi scaux. Comment retrouver de la croissance ? Cela passe par la création d’emplois, une revalorisation des salaires, un politique de formation et de qualification et par un état stratège qui défi nit les priorités.
     

    HD. Les peuples d’Europe et singulièrement d’Europe du Sud subissent les politiques d’austérité et ce que l’on appelle dans le jargon du FMI les réformes structurelles (casse de la protection sociale et du droit du travail). Certains pays sombrent dans la pauvreté. Mais les syndicats semblent impuissants à stopper cette régression….
     

    T.L. Dans ces pays, ce ne sont plus les élus qui gèrent le pays mais de pseudos-experts aux ordres du FMI et de la BCE. Cela n’encourage pas les salariés à se mobiliser et à s’organiser, même s’il y a des luttes sociales. C’est pour cela que la Confédération européenne des syndicats (CES) a une responsabilité immense. C’est à elle de donner de la confi ance, de l’espoir, des perspectives, d’essayer de créer de la solidarité. Elle y travaille. L’idée d’un salaire minimum en Europe est une question qui avance. Un socle protecteur élargi à l’Europe serait une vraie réponse à la mise en concurrence des salariés entre eux. C’est à nous de redonner de l’espoir à ces pays et d’offrir des perspectives communes à l’ensemble des travailleurs en Europe. La CES vient de décider d’une semaine d’actions coordonnées en Europe du 7 au 14 Juin, pour «changer de cap et contre les politiques d’austérité». Nous y serons et nous l’espérons avec l’ensemble des organisations syndicales françaises.
    Entretien réalisé par CYPRIEN BOGANDA, PIERRE-HENRI LAB ET DOMINIQUE SICOT

    « Dés le premier tourUn quart d'heure d'anonymat en ligne »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :