• L’ultralibéralisme à l’assaut des professions réglementées… La CGT dénonce certaines des préconisations du rapport de l’Inspection Générale des Finances sur les professions réglementées et en particulier les professions du droit.

     

    L’ultralibéralisme, qui inspire ce document, portera un coup fatal au service public du droit en livrant ce secteur à la toute-puissance des marchés, où sous couvert de concurrence, règne la loi du plus fort qui pénalise les classes moyennes et populaires au profit des riches.

    Cela se traduira par des licenciements massifs dans les professions ou à des recrutements à bas coûts pour maintenir les marges. La baisse de la qualité des missions de service public en sera une autre conséquence.

    C’est pourquoi la CGT se pose résolument contre toute déréglementation de ces professions, sans pour autant nier les nécessaires évolutions. Mais celles-ci doivent avoir lieu dans le cadre de la « réglementation », au sein de négociations avec les organisations syndicales du secteur. De ce point de vue, l’enjeu concernant l’amélioration des missions de service public de ces professions passent par des réponses concrètes au développement de l’emploi qualifié avec des salaires correspondants, et à l’amélioration des conditions de travail permettant une réelle qualité de service.


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  • Pour une épure de la rupture – Transition, autogestion, horizon temporelLes débats programmatiques semblent reprendre vigueur dans la dernière période. Après les espoirs déçus, qu’ils aient été électoraux ou organisationnels, le mauvais temps actuel nous ramène à des questions de fond, presque d’introspection.

    Parmi ces nombreux débats, notons celui qui s’est déroulé à l’été 2013 sur la contrainte européenne, la sortie ou pas de l’euro et les questions monétaires sous-jacentes. Mais d’autres questions refont surface. Pour preuve, les échanges entre Samy Joshua et Gilbert Dalgalie, Claude Kowal, Catherine Samary, Patrick Silberstein, à propos de la transition et l’autogestion, ou la contribution récente de Thomas Coutrot, reprise par le site, sur la « compétitivité et la croissance ». Tout le monde s’y met un peu, citons à ce titre le texte de Laurent Maffeïs, « L’enjeu constituant de la propriété » sur le site du Parti de Gauche. A regarder ici ou là – hormis l’indigence du NPA en la matière et pour cause – chacun essaye de se pencher sur le « projet » de rupture, notamment sous l’angle économique et celui des rapports sociaux.

    Mais ces réélaborations et échanges partagent rarement le même horizon temporel. Alors que certains passages du texte de Coutrot ouvrent débat sur les premiers pas de la rupture, on ne peut pas dire cela des échanges déjà cités sur l’autogestion qui se placent plutôt sur un horizon beaucoup plus lointain de la transition. La même remarque pourrait être faite, sans aborder le fond, du texte cité du Parti de Gauche.

    Evidemment il y a des liens entre tout cela et il n’est pas question de restreindre nos réflexions. Mais il se trouve malgré tout que notre grande faiblesse ne tient pas à la capacité d’inventer un futur monde libéré de la propriété privée des (grands ?) moyens de production et de rêver d’une démocratie sociale qui réunifierait le travailleur et le citoyen. Il est dans la pré-élaboration d’un programme social et économique des tout débuts de transition. Ce vide programmatique n’est sans doute pas gênant pour les petits secteurs minoritaires du salariat qui estiment qu’il suffit de « pendre les patrons » ou qui croient encore que le capitalisme fonctionne comme il y a 50 ans. Mais ça l’est pour intéresser, instruire, convaincre une plus grande partie du salariat. J’ai déjà souligné ceci plusieurs fois. Et nous n’aurions pas trop de nos forces collectives, au sens le plus large possible, pour définir le périmètre de ce débat et ses axes. Le débat sur l’Europe et l’Euro était un bon début malgré tout.

    Le contre-exemple absolu (ceci pour alléger notre faute !) est cet article paru sur le site du Parti de gauche. Une sorte de manifeste contre la propriété privée qui nous transporte à des lustres d’anticipation maladroite et par certains côtés ultragauche. Car ce qui affaiblit souvent la gauche de la gauche c’est de n’avoir aucun pont cohérent entre la défense de certaines revendications immédiates (pas toujours très élaborées d’ailleurs) et des projections très lointaines et hasardeuses sur un monde meilleur.

    Je voudrais souligner à nouveau ici que la soi-disant dégénérescence du PS tient sans doute à de multiples facteurs bureaucratiques, sociologiques, idéologiques, historiques… mais qu’elle tient aussi à l’impossibilité désormais de réaliser, sans affrontement social de grande ampleur, des réformes progressistes dans le domaine socio-économique. Ceci étant dû au nouveau fonctionnement du capitalisme, à la mondialisation financière et pas seulement à la détérioration des rapports de forces sociaux (puisque dans les faits en France cette impasse s’est révélée dès 1982/83). Il fut une époque où l’on pouvait jongler entre les deux classes. Cette époque est révolue ; quitte à devoir choisir son camp autant choisir celui de la « modernité » c’est-à-dire du capitalisme mondialisé et ses contraintes. Par contre, la « gauche passéiste » dénoncée par Valls est effectivement celle qui ne peut gagner d’aucun côté : le peu de réformisme qui lui resterait dans les veines n’a aucun moyen de passer à la pratique dans le capitalisme contemporain. Valls l’emportera donc par forfait, car il sait que ni Aubry, ni le pitre Montebourg ne vont rompre avec leur ligne du « gagnant-gagnant » d’entre les classes. C’est donc à tort, qu’ici ou là dans quelques articles sur le PS émanant de nos rangs, on trouve des traces de la vieille musique « si au moins ils osaient appliquer leur programme ».

    Mais si la gauche parlementaire est définitivement hors sujet depuis… 30 ans, comment nous-mêmes répondons nous aux contraintes systémiques qui ont produit l’impasse définitif du réformisme ? Comment formulons-nous quelques points de repère pour illustrer le « possible » d’un début de rupture ? Sur la dispersion continentale et mondiale de la production, versus la concentration du capital ? Sur –comme l’indique Coutrot – la rupture énergétique ? Sur l’incursion dans les profits et l’élaboration de nouvelles contraintes fiscales ? Sur le droit du travail, les contre-pouvoirs dans les entreprises, le changement complet à assurer en matière de réorganisation des filières et des entreprises ? La question du blocage de la finance spéculative mondialisée et le risque pris ainsi sur certains supports de l’épargne populaire (au risque de voir une partie de la population se retourner contre le nouveau pouvoir) ? Le contrôle sur le bilan des banques en vue de restructurer le secteur ? La question du marché en général et de la propriété privée individuelle ? Comment formuler notre attaque contre le marché sans rouler des mécaniques et se voir accusés d’ouvrir une période de grande pénurie ?

    Je me répète :

    • Il ne s’agit pas d’écrire un programme complet, exhaustif et donc hasardeux et contre-productif. Mais d’oser une épure.

    • Il s’agit d’un cadre général, d’un certain nombre de repères qui puissent déroger de l’ultra propagandisme lointain. Surtout d’aboutir à un ensemble cohérent où les différents items se recoupent.

    • Les compétences hors de notre courant [1] existent. Il faut fédérer un effort analytique notamment dans des domaines techniquement complexes.

    Sans aller trop loin. Car, faut-il le rappeler, la transition est fondamentalement un compromis. Ce ne sera pas l’entrée de troupes révolutionnaire dans un parlement déserté. Le bras de fer sera long et constant. C’est un compromis qui tient compte de toute une série de rapports de forces, nationaux et internationaux, des formes de mobilisations sociales (qui ne durent jamais longtemps à moins d’enrégimenter la société). Il n’est donc pas possible d’écrire l’histoire avant qu’elle ne se produise. Et les as de la « socialisation » à tour de bras et de l’expropriation des actionnaires (de tous ?) devraient nous faire sourire. Mais cela ne doit pas nous délivrer complètement de cet exercice. Nous proclamons la « rupture » mais nous sommes publiquement muets sur les premiers pas possibles de celle-ci. Ne faisons pas l’erreur du NPA de n’être que le parti des luttes et des « copains qui se battent dans les taules » parce que la confrontation au réel et à la complexité des nouvelles donnes lui donne le vertige.

    Quelques événements récents et non français devraient être débattus. Par exemple, la pression qu’il y a eu sur l’électorat écossais (nonobstant la césure campagne/ville) sur la sortie forcée de la Livre sterling, sur la dette et le système bancaire. On voit bien que ces questions ne sont pas occultées et participent, dans nos sociétés, au débat public, à la prise de conscience des contraintes et à la formulation des possibles. Autre exemple, celui de la dette argentine. Comment se prévaloir d’une autre stratégie que celle du gouvernement Kirchner en évitant la catastrophe de l’autarcie financière ? Est-ce que la démarche de l’Equateur en 2007 peut être possible et suffisante pour un pays comme la France et en Europe ? Et si la transition est bel et bien un compromis, où se situerait dans ces affaires financières les deux lignes rouges à ne pas franchir ni à gauche ni à droite ? Il n’est plus possible de répondre à ces questions par un renvoi dédaigneux au jour J où se posera le problème. Ecosse, Argentine sont des laboratoires concrets des questions soulevées par la mondialisation financière. A quand, aussi, notre bilan exhaustif de la révolution bolivarienne au Venezuela en matière économique et surtout industrielle ?

    En travaillant ces questions, en leur donnant une cohérence nous éviterons le grand écart entre revendications sociales immédiates et évocation abstraite d’une « autre société ». Nous pourrions influencer plus de militants dans la gauche radicale en les aidant à sortir eux-aussi du pur propagandisme et de la gesticulation. Surtout, nous améliorerions nos discours publics. Nous pourrions gagner quelque crédit nouveau dans les organisations syndicales et parmi les catégories les plus demandeuses d’un passage de la critique morale à la critique programmatique du système actuel. Ne nous y trompons pas, les affaires écossaise et catalane ne se résument pas à la seule question démocratique et nationale. Elles sont des laboratoires en matière de contraintes systémiques et pointent le trouble des réponses progressistes.

    Claude Gabriel


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  • Ebola : les chercheurs du Commissariat à l’Energie atomique et aux énergies alternatives à l’honneur… et pourtant leur laboratoire devait fermer !Le mardi 21 octobre 2014, une équipe de recherche du service de biochimie et toxicologie nucléaire (SBTN) du Commissariat à l’Energie Atomique et aux énergies alternatives (CEA) Marcoule a présenté un test de dépistage "rapide" du virus Ebola à l’occasion d’une conférence de presse organisée par l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, à Paris.

    La direction du CEA, dans un communiqué le même jour, a souligné que le développement opérationnel a pu être réalisé en deux mois grâce aux résultats des recherches menées depuis plusieurs années par le CEA dans le cadre du programme interministériel de Recherche et Développement sur les risques Nucléaires Radiologiques Bactériologiques et Chimiques.

    La CGT regrette fort que le CEA n’ait pas jugé nécessaire de souligner que ce résultat était le fruit du travail d’une équipe de chercheurs en Sciences du Vivant du centre CEA de Marcoule, dirigée par un spécialiste des anticorps monoclonaux du CEA. Pourtant le laboratoire de recherche en Sciences du Vivant du centre CEA de Marcoule aurait dû fermer, et l’équipe dispersée, suite au calamiteux Plan à Moyen et Long Terme présenté en novembre 2013 et entériné en décembre par le Comité à l’Energie Atomique présidé par le Premier ministre.

    La CGT salue ce résultat emblématique de l’excellence des salariés du CEA de Marcoule, mais aussi leur pugnacité. Dans le même temps, ils se sont battus pied à pied, avec l’aide de la CGT puis des autres organisations syndicales, contre ce qui leur était présenté comme l’inéluctable fermeture de leur laboratoire. Leur contre-projet a fini par convaincre, qu’une alternative était possible. La direction a admis en juillet 2014 la viabilité d’un projet optimisé conservant une activité avec une vingtaine de salariés, ce qui ne correspond toutefois qu’à une petite moitié des effectifs initiaux. Les salariés restent déterminés malgré leur déception.

    La politique d’austérité qui frappe le CEA comme tous les organismes de recherche démontre une nouvelle fois toute son absurdité. Elle conduit les directions à des choix dangereux pour la Nation et même largement au-delà.

    Rappelons à ce propos que la mise à l’arrêt du réacteur expérimental Osiris pour fin 2015, entérinée par les ministères, ferait courir un grave risque de pénurie mondiale en radioéléments à usage médical indispensables au dépistage des cancers.

    La CGT tient à rappeler à quel point la recherche nous concerne tous, et que ce n’est pas avec une recherche malmenée par les politiques d’austérité que l’on parviendra à une quelconque reprise de la croissance. En ce moment même se développe un large mouvement de mobilisation de l’ensemble du monde de la recherche contre les conséquences de cette politique inacceptable.


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  • L’affectation des élèves dans les établissements scolairesL’affectation des élèves dans les établissements scolaires est diverse, choix libre dans le privé, carte scolaire dans le public avec dérogations pour une minorité. Le système a connu une réforme récente et passe désormais par internet. Pierre Merle montre comment cette nouvelle procédure renforce dans certaines situations la ségrégation sociale, puis ouvre des voies pour y remédier.

    Quel que soit le système éducatif, l’affectation des élèves dans les établissements scolaires se réalise selon trois modèles : choix libre des parents, affectation réglementée, modèle mixte qui combine les deux précédents. La singularité de l’école française tient à la co-existence des trois modèles : choix libre pour les établissements privés ; affectation scolaire régie par une carte scolaire pour la majorité des élèves, recours à des dérogations à la carte scolaire pour une minorité [1]. Au début des années 2000, pour l’entrée en lycée, une procédure PAM, Pré-Affectation automatique Multicritères, a été testée et, à la rentrée scolaire 2008, cette procédure a été généralisée dans le cadre d’affelnet, affectation des élèves par le net. Quels sont les enjeux de cette nouvelle politique ? Quels résultats ont été obtenus ?

    Trois enjeux incontournables

    Autant dans les lycées que dans les collèges, trois enjeux justifient l’intérêt porté aux politiques d’affectation des élèves. D’abord, la recherche d’un optimum économique. Lorsque plus de cinq millions de collégiens et lycéens sont scolarisés, il faut des classes, des professeurs et des personnels administratifs pour les accueillir de façon satisfaisante. La création de la carte scolaire, en 1963, est directement liée à l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans décidé par la réforme Berthon : les nouveaux collèges, construits en prenant en compte le nombre d’enfants à scolariser par commune et par quartier, devaient être pleinement utilisés. En 2007, lorsque les possibilités de dérogations à la carte scolaire ont été sensiblement élargies, certains établissements populaires ont perdu plus de 25% de leurs effectifs en deux ou trois années (Merle, 2012a ; Grenet et Fack, 2012) et, parallèlement, des collèges attractifs et surchargés ne pouvaient plus accueillir des élèves en surnombre. Plus les parents disposent de liberté dans le choix de l’établissement de scolarisation de leurs enfants, plus les surcoûts collectifs liés à cette liberté sont importants. Certains collèges sont même désaffectés ou détruits lorsqu’ils sont trop désertés par les élèves. De nouveaux collèges sont alors construits dans des quartiers plus attractifs.

    Un second enjeu des modalités d’affectation des élèves dans les établissements scolaires est d’ordre socio-politique. L’aphorisme ancien de Durkheim (1922) - « La classe est une petite société » - a gardé toute sa pertinence. L’établissement scolaire n’est pas seulement une modalité de regroupement de la jeunesse, il est aussi un lieu structurel de socialisation, de construction d’univers linguistiques, de processus cognitifs, de modalités de présentation de soi, d’affinités électives, d’aspirations scolaires et professionnelles fortement différenciées selon la filière et la classe. Toutes les recherches convergent sur un résultat incontestable : la liberté de choix des parents favorise l’entre-soi, c’est-à-dire la ségrégation sociale (Merle, 2012b ; OCDE, 2014). Il faut en conclure que plus la liberté de choix s’accroît, plus les établissements scolaires, instances centrales de socialisation et d’apprentissage, sont différenciés socialement et sources de variations dans les contenus d’enseignement, les performances des élèves, les orientations et les durées des scolarités (Merle, 2012c). En favorisant l’entre soi des classes aisées, le libre choix tend à transformer l’établissement scolaire des beaux quartiers en complément fonctionnel de l’habitat et de la famille, lieux privilégiés de reproduction sociale (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2007).

    Le dernier enjeu des modalités d’affectation des élèves est celui de la qualité des systèmes éducatifs. Les thuriféraires du libre choix de l’établissement considèrent qu’il favorise la concurrence entre établissements et, pour cette raison, l’efficacité du système éducatif. Cette idée très répandue relève de l’idéologie et non de l’analyse : la concurrence entre établissements scolaires, directement liée au libre choix des parents, n’est pas une variable explicative du niveau de compétences des élèves (OCDE, 2014). Les recherches tant nationales qu’internationales convergent sur un autre constat. L’absence de choix ou un choix régulé des demandes parentales favorise la mixité sociale, facteur d’efficacité : le niveau moyen des élèves est globalement plus élevé dans les systèmes scolaires socialement mixtes [2]. La mixité sociale est aussi un facteur d’équité. Celle-ci est définie doublement. Lorsque l’équité est faible, d’une part l’écart de compétences est plus grand entre les élèves forts et faibles et, d’autre part, la corrélation entre origine sociale et réussite s’accroît.

    Comme le montrent les études PISA, le système scolaire français est l’un des plus inéquitables des pays développés, et la dernière enquête PISA, publiée en 2013, a confirmé cette spécificité croissante de l’école française. À titre d’exemple, le retard scolaire, particulièrement élevé en France et indicateur fortement prédictif de la carrière scolaire, est la variable la plus fortement corrélée à l’origine sociale des élèves. Le taux de redoublement des élèves d’origine défavorisée est presque six fois supérieur à celui constaté pour les élèves d’origine aisée (graphique 1 ci-dessous). La faiblesse de l’équité de l’école française est en partie liée aux procédures d’affectation des élèves et au faible niveau de mixité sociale inter-établissements qui en découle. Les préconisations de l’OCDE confirment explicitement ce lien : « Adopter des politiques qui améliorent l’inclusion verticale et horizontale [c’est-à-dire qui augmentent la mixité sociale inter-filière et intra-établissement] est l’un des meilleurs moyens de parvenir à l’équité » (OCDE, 2011).

    Ces trois enjeux justifient la mise en place de la procédure Affelnet dont l’objectif affiché est d’accroître la mixité sociale des lycées. Cette nouvelle procédure d’affectation des élèves a-t-elle atteint son but ?

    Graph 1 : Taux de retard à l’entrée en classe de sixième
    selon les caractéristiques de l’élève (en %)

    Source : Baccaïni (2014) (exploitations secondaires)
    Champ : primo-entrants en 6e à la rentrée scolaire 2011.
    Légende : Le taux de retard en 6e des élèves d’origine sociale défavorisée est de 20,5%.
    Les origines sociales « favorisées » et « moyennes » ne sont pas présentées.

    La procédure affelnet d’affectation des élèves et son évaluation

    La procédure affelnet est fondée sur une affectation scolaire de chaque enfant en fonction de plusieurs critères : le statut de boursier, les résultats scolaires des élèves, le rapprochement de fratrie, un choix de lycées classés par les parents par ordre décroissant de priorité, un avis éventuel du chef d’établissement susceptible d’appuyer plus ou moins les demandes des familles… Chaque critère est affecté d’un certain nombre de points et fait l’objet d’une pondération.

    L’évaluation de la procédure affelnet est difficile pour plusieurs raisons. Le nombre de points affecté à chaque critère ainsi que le nombre de critères dépendent, en partie, de la politique de chaque académie et spécifiquement, au niveau départemental, de l’inspecteur d’académie qui paramètre la procédure d’affectation. Pour cette raison, aucune évaluation globale de cette politique n’est possible et la procédure affelnet favorise plus ou moins la mixité sociale selon le paramétrage des critères (Fack et Grenet, 2014). Ensuite, les pondérations ne sont pas stables : les inspecteurs académiques modifient celles-ci lorsque la procédure affelnet débouche sur des dysfonctionnements - élèves sans affectation -, ou lorsque l’objectif de mixité sociale n’est pas atteint, pour autant que celle-ci fasse l’objet d’une mesure. Pour cette raison, les effets de la procédure affelnet sur le niveau de mixité sociale sont éventuellement variables dans le temps.

    Les difficultés de l’évaluation de la procédure affelnet ont imposé une réduction de l’analyse à l’Académie de Paris, limitée à Paris même. Ce choix tient au fait qu’il s’agit d’une académie où, en raison de la concentration urbaine, de l’importance des catégories aisées et de la densité des réseaux de transport, la ségrégation sociale est particulièrement élevée (Merle, 2012b, 2014 ; Fack et Grenet, 2014 ; Ly, Maurin et Riegert, 2014). La procédure affelnet est pour cette raison plus nécessaire et les effets potentiellement plus importants et plus mesurables.

    Pour l’académie de Paris, les critères affelnet de classement des demandes parentales sont connus. En 2008, le statut de boursier permet d’obtenir 300 points ; l’obtention de bons résultats scolaires, 700 points ; un rapprochement de fratrie 50 points ; le choix d’un établissement dans le district de son domicile 400 points [3]. Cette présentation d’affelnet simplifie la procédure effective d’affectation des lycéens car les « formations à recrutement particulier », par exemple l’admission en seconde dans les sections européennes, font l’objet d’un dossier spécifique et d’une procédure spéciale dite « pré PAM ». Ce dossier spécifique, qui s’ajoute au dossier déposé par tous les élèves, réduit la transparence de la procédure affelnet puisque les parcours les plus recherchés ne sont pas traités selon la procédure commune.

    Déjà signalée, une difficulté de l’analyse des effets de la procédure affelnet tient à ce que les pondérations associées aux critères d’affectation font l’objet de modifications. Ainsi, à partir de 2009, dans l’académie de Paris, la pondération accordée aux résultats scolaires est passée de 700 à 600 points ; le critère « choix de l’établissement dans son district » est passé de 400 à 600 points ; et le fait de faire un premier choix non satisfait ou de venir précédemment d’un collège privé n’est plus pénalisé, cette pénalisation ayant été considérée comme une discrimination religieuse par la Halde suite à des plaintes déposées par les parents scolarisant leurs enfants dans les collèges privés. Ces changements de pondérations ont exercé des effets sensibles sur le niveau de ségrégation des lycées parisiens (cf. partie suivante).

    L’analyse a porté sur l’ensemble des lycées parisiens. Ce choix était potentiellement problématique tant les recrutements sociaux des lycées sont différenciés, de la filière générale, au recrutement social plutôt aisé, à la filière professionnelle, au recrutement nettement populaire (MEN, 2012, p. 102). Cette différenciation des filières et des lycées cache l’essentiel : le secteur public scolarise 78,7% des lycéens des filières professionnelles et 78,1% des lycéens des filières générales et technologiques (MEN, 2012, p. 98). Par complément, le secteur privé scolarise 21,3% de lycéens professionnels et 21,9% des élèves des filières générales et technologiques. Ces proportions sont extrêmement proches et de surcroît stables dans le temps car la régulation rectorale des créations et suppressions de filières dans les secteurs public et privé a notamment pour objet de maintenir cette similitude morphologique des deux secteurs. Celle-ci est essentielle dans l’analyse : elle permet une comparaison du niveau de ségrégation sociale des secteurs public et privé en neutralisant des effets de structure qui seraient liés à une répartition inégale et instable des filières générales, technologiques et professionnelles dans les secteurs public et privé.

    Les résultats

    L’évaluation de la procédure affelnet a été réalisée à partir de la mesure du niveau de ségrégation des lycées parisiens. La période d’analyse retenue, des années scolaires 2006-2007 à 2011-2012, permet de savoir si la mise en œuvre de la procédure affelnet en 2008 a exercé un effet sur l’évolution de cette ségrégation sociale. Celle-ci a été mesurée en calculant l’indice de dissimilarité, indicateur classique de mesure de la ségrégation scolaire (Jnekins, Micklewright et Schnepf, 2006 ; Merle, 2011 ; Grenet et Fack, 2012). La définition statistique de l’indice de dissimilarité est présentée ailleurs (Merle, 2012). L’interprétation de cet indice est facilement compréhensible, sans définition statistique, à partir de deux situations types. Si tous les établissements ont le même recrutement social, le niveau de ségrégation est nul et l’indice de dissimilarité est égal à 0%. Inversement si, dans une commune avec deux établissements, le premier scolarise tous les enfants d’origine populaire et, le second, tous les autres élèves, le niveau de ségrégation est maximum et l’indice est égal à 100%.

    Afin d’évaluer l’effet de la procédure Affelnet, trois mesures de la ségrégation ont été réalisées. Compte tenu du fait que la procédure Affelnet ne s’applique qu’aux établissements publics, il était nécessaire de mesurer séparément l’évolution de la ségrégation dans les secteurs public et privé. Une troisième mesure concerne la ségrégation globale, lycées publics et privés réunis.

    Graphique 2 : Évolution de l’indice de ségrégation sociale dans les secteurs
    public et privé des lycées parisiens (années 2006-2007 à 2011-2012) (en %)

    Plusieurs enseignements peuvent être tirés du graphique ci-dessus. Avant la mise en œuvre de la procédure affelnet, en 2006 et 2007, la ségrégation de chaque secteur est stable. Elle est aussi plus faible pour les établissements privés dont le recrutement social est globalement plus aisé et plus homogène. Ainsi, dans les filières professionnelles, la proportion d’élèves d’origine défavorisée est de 55,5% dans les lycées publics et de seulement 36,4% dans le privé (MEN, 2012, p.102). Cette sous-représentation des catégories populaires dans la filière professionnelle du privé, présente aussi dans les filières générales et technologiques, est un indicateur d’une ghettoïsation par le haut (Merle, 2012b).

    À la rentrée 2008, à partir de la mise en œuvre de la procédure affelnet, les secteurs public et privé connaissent une évolution divergente. Dans le secteur public, la ségrégation scolaire baisse de presque un point (de 35 à 34,1%) alors que, dans le secteur privé, cette ségrégation augmente sensiblement (+ 2,6 points) (graphique 2). L’objectif d’une augmentation de la mixité sociale est donc atteint mais seulement pour les lycées publics. À la rentrée 2009, les modifications de la procédure affelnet, en donnant un avantage aux choix d’établissements dans le même district, en réintégrant les demandes des familles ayant scolarisé leurs enfants dans un collège privé, et en supprimant les pénalités de points liés aux premiers choix non satisfaits, ont favorisé les choix ambitieux des familles d’origine aisée et moyenne et accentué légèrement la ségrégation sociale dans le secteur public.

    Les dynamiques ségrégatives essentielles sont ailleurs. Dans le secteur privé, la ségrégation sociale augmente fortement lors des rentrées scolaires 2008, 2009, 2010 et 2011 (graph. 2). Cette croissance ne peut s’expliquer que par une analyse spécifique des stratégies des parents aisés. Un des effets majeurs de la procédure affelnet est l’impossibilité pour les parents de connaître l’affectation de leurs enfants avant le mois de juin sur leurs six vœux présentés même lorsqu’il s’agit, pour partie, de lycées inclus dans le district de leur domicile pour lesquels l’affectation n’est pas toujours assurée. L’affectation tardive en lycée, parfois sur les 5e et 6e vœux, parfois même hors vœux, même pour des élèves ayant de bons résultats scolaires dans leur collège (ces bons résultats devenant éventuellement « moyens » suite à la pondération de leurs notes par les résultats écrits de leur établissement au DNB si l’établissement a des performances moyennes), a favorisé la contestation des parents comme le montrent la création de blogs de parents, opposés à la procédure affelnet [4]. Ces spécificités de l’affectation affelnet - décision administrative tardive, incertitude du résultat - ont favorisé une fuite sensible des parents des catégories aisées vers les lycées privés. Cette fuite du public vers le privé concerne essentiellement les catégories aisées et la filière générale des lycées si bien que l’écart de recrutement social entre les filières générales et professionnelles du privé a augmenté et a provoqué une croissance considérable de la ségrégation sociale des établissements privés parisiens : + 10,7 points de 2007 à 2011 ! (graphique 2).

    En 2007, la politique d’assouplissement de la carte scolaire mise en œuvre au niveau collège a débouché sur le même phénomène de fuite du secteur public vers le secteur privé (Merle, 2011, 2012b). La procédure affelnet, conçue à partir d’un choix régulé, et pour cette raison en partie différente dans son principe de la politique d’assouplissement mise en œuvre au niveau collège, ne débouche pas sur un résultat réellement plus satisfaisant (Merle, 2014). Aux États-Unis, la politique du busing – le déplacement des enfants noirs vers les écoles blanches – a entraîné un phénomène comparable de white flight : les populations blanches aisées se sont réfugiées dans les écoles privées ou dans les écoles hors district non concernées par la politique du busing (Merle, 2012b).

    Pistes pour une plus grande mixité sociale et scolaire des établissements

    Cette évaluation de la politique d’affelnet présente un intérêt majeur en termes de politique éducative. D’une part, cette nouvelle procédure d’affectation automatisée des lycéens n’a pas permis d’augmenter globalement la mixité sociale des établissements. D’autre part, pour autant que cette politique parvienne à réduire la ségrégation sociale dans les établissements publics - ce qui est parfois le cas -, la procédure affelnet débouche, par contrecoup, sur une croissance de la ségrégation sociale dans les établissements privés. Une partie des enfants des catégories aisées ne pouvant obtenir l’établissement public souhaité s’inscrit dans un établissement privé. Ce résultat montre qu’une politique de mixité sociale des établissements fondée sur une procédure d’affectation des élèves ne peut être efficace que si elle concerne les deux secteurs d’enseignement afin d’éviter les phénomènes de fuite du secteur public régulé vers le secteur privé non régulé. Lycées publics et privés devraient donc être soumis aux mêmes règles d’affectation de leurs élèves et/ou être contraints à une exigence de mixité sociale.

    Pour réduire la ségrégation interne à chaque secteur, des options attractives dans les établissements moins demandés et/ou la réduction des options dans ceux qui sont les plus recherchés, y compris pour les lycées privés, constituent aussi une politique éducative souhaitable (Thélot, 2004). Bien que l’offre pédagogique ne soit pas le seul déterminant des demandes des familles (Merle, 2012d), les options, notamment les sections européennes et internationales réservées réglementairement aux meilleurs élèves, contribuent à attirer ceux-ci et participent à l’excellence et à l’attractivité d’un établissement. Ce phénomène est également à l’œuvre dans les collèges. L’abondance de l’offre linguistique, spécifique aux collèges au recrutement aisé, favorise les demandes de dérogation des familles aisées et moyennes qui, souhaitant que leur enfant échappe au collège de leur secteur, découvrent chez leur enfant un attrait pour le chinois ou le russe, enseignés par 85,4% des collèges au recrutement aisé (Baluteau, 2013, voir annexe). La différenciation pédagogique des établissements est au fondement de la différenciation du recrutement social et une source majeure de ségrégation sociale. La recherche de l’équité et de l’efficacité, globalement liées (Merle, 2012b), passe inévitablement par une réduction de la différenciation pédagogique.

    Il existe un autre levier susceptible de favoriser la mixité sociale. Actuellement, le financement des établissements scolaires est essentiellement fondé sur le nombre d’élèves scolarisés et cette dotation-élève est indifférente à l’origine sociale. Un tel système est pervers : il favorise la sélection des meilleurs élèves, spécifiquement dans le secteur privé. Dans la situation actuelle, le modèle économique du secteur privé l’incite en effet à limiter la scolarisation des enfants d’immigrés et d’origine populaire : ceux-ci contribuent moins aux dépenses, nécessitent plus d’encadrement pour réussir, ont en moyenne de moins bons résultats et, pour cette raison, nuisent à sa réputation au fondement de son attractivité scolaire et sociale. Autant de raisons qui incitent un établissement du privé, s’il est situé dans un beau quartier, à sélectionner sa clientèle en raison de demandes en surnombre. Le choix des familles est pour cette raison une expression trompeuse susceptible de recouvrir une autre logique : le choix des élèves par les établissements. Ce choix favorise la ségrégation sociale (Jenkins et alii, 2006). La récente recherche de Du Parquet, Brodaty et Petit (2013) a d’ailleurs montré que près de 20% des établissements privés, en dépit de leur mission de service public, ont recours à la discrimination ethnique dans leur politique de recrutement...

    Pour supprimer l’effet pervers d’une dotation-élève indifférente au niveau scolaire, il est possible de prendre en compte financièrement les spécificités scolaires et sociales des élèves. Une telle politique a été mise en œuvre au Pays-Bas (Ritzen, Van Dommelen et De Vijleder, 1997)et au Chili, en 2008, dans le cas de la Loi de subventions scolaires préférentielles. La scolarisation d’un élève d’origine populaire a fait l’objet d’une dotation supérieure. La différenciation des dotations financières est une façon globale et lisible de donner plus à ceux qui ont moins, principe souvent répété mais dont la mise en œuvre est confuse, discutable, parfois même contraire aux principes qu’il est censé défendre (Dallier, 2011, Cour des comptes, 2011, Merle, 2012a et b). Si la dotation par élève était différenciée selon l’origine sociale et le niveau scolaire des élèves, les chefs d’établissement seraient incités à rechercher de la mixité sociale et scolaire alors que le système actuel incite à scolariser de préférence les bons élèves plus souvent d’origine aisée. Toutefois, la ségrégation scolaire des établissements ne relève pas que de la politique éducative car une partie importante de cette ségrégation résulte de la ségrégation urbaine (Ly, Maurin, Riegard, 2014). Le développement du logement social dans les communes aisées est pour cette raison un levier potentiellement puissant de mixité sociale des établissements scolaires, d’équité et d’efficacité des systèmes scolaires. Prévue par la loi, l’objectif de mixité sociale de l’habitat suscite cependant des résistances fortes et n’est guère respecté [5].

    D’autres politiques éducatives sont également sources d’efficacité et sont pourtant négligées telle que la réduction du nombre d’élèves par classe dans les zones d’éducation prioritaire qui scolarisent les élèves en difficulté scolaire (Piketty et Valdenaire, 2006). Compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, cette politique ne peut être mise en œuvre qu’en augmentant légèrement le nombre d’élèves par classe dans les établissements hors zone d’éducation prioritaire. Bien que cette politique de redistribution des moyens ait une efficacité prouvée (Fredriksson et alii, 2013, 2014) - le progrès des élèves faibles est particulièrement sensible au nombre d’élèves par classe -, elle n’est pas réellement mise en oeuvre. Le principe d’égalité à la française est étrange : il est sollicité pour ne pas donner réellement plus à ceux qui ont moins, vite oublié pour donner plus, par exemple plus d’options linguistiques, à ceux qui ont plus. C’est pourtant une illusion ou une tromperie de penser que l’école française pourrait devenir plus juste, plus efficace et plus équitable sans supprimer les privilèges dont bénéficient les héritiers…


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  • Chiffres du chômage de septembre Une véritable série noire !Ce mois de septembre bat des records, tous les chiffres sont mauvais : le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A s’établit à 3 432 500 fin septembre 2014. Ce nombre augmente par rapport à la fin août 2014 (+0,6 %, soit +19 200). Sur un an, il croît de 4,3 %.

    Tous les âges sont touchés : les moins de 25 ans augmentent de 0,4 %, ceux âgés de 25 à 49 ans augmentent de 0,5 % (+3,3 % sur un an) tandis que celui des 50 ans ou plus augmente de 1,0 % (+11,1 % sur un an).

    Chiffres du chômage de septembre Une véritable série noire !La précarité se développe aussi car le nombre des demandeurs d’emploi s’accroît de 1,1 % pour l’activité réduite courte (catégorie B, +5,9 % sur un an) et de 2,4 % pour l’activité réduite longue (catégorie C, +10,9 % sur un an).

    Comme les mois précédents, c’est le chômage de longue durée qui s’alourdit de plus en plus. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis un an ou plus augmente de 1,5 % au mois de septembre 2014 (+10,0 % sur un an).

    On ne peut que déplorer que le gouvernement ne prenne pas cette question de façon sérieuse. Il n’y a toujours pas de plan d’action d’arrêté, le Medef lui ne voit pas l’intérêt d’ouvrir des négociations.

     

    La CGT a des propositions qu’il est urgent de prendre en compte : de l’amélioration et la revalorisation de l’ASS (allocation spécifique de solidarité) ainsi que le rétablissement de l’AER (allocation équivalent retraite), à une véritable politique de formation des demandeurs d’emploi.

    Tous les signaux sont aux rouges alors que la reprise est atone, les entrées pour fins de contrat à durée déterminée augmentent de 6,0 % et les fins de mission d’intérim de +7,4 %.

    Même le ministre de l’Économie finit par admettre qu’il y a des abus du coté patronat "Il y a toutefois des excès, des dirigeants qui ont des rémunérations résolument trop élevées, déconnectées de leurs performances ou de la situation de l’entreprise", a-t‘ il estimé.

    La CGT réclame depuis longtemps un contrôle de l’utilisation des aides publiques et les premiers résultats du CICE en confirment l’urgence.

    Il faut changer de politique de l’emploi, les mauvais chiffres de septembre en démontrent la nécessité.


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  • Leçons de GazaLa récente agression contre la bande de Gaza a une nouvelle fois démontré la folie destructrice et meurtrière dont est capable de faire preuve l’État d’Israël lorsqu’il s’agit d’écraser le peuple palestinien, ses organisations et ses aspirations nationales. 

    Près de 2.200 morts, plus de 11.000 blessés, des dizaines de milliers de bâtiments partiellement ou totalement détruits, plus de 500.000 déplacés (soit 30% de la population)… Des chiffres qui donnent le tournis, a fortiori si l’on pense à l’exiguïté de la petite bande côtière, une nouvelle fois victime d’une « offensive » qui n’est rien de moins qu’un massacre. Un cessez-le-feu a finalement été obtenu à la fin du mois d’août, dont les termes et les conditions indiquent que s’il est inapproprié de parler de « victoire » des Palestiniens, nous avons assisté à une défaite politique et militaire de l’État d’Israël.

    Julien Salingue a notamment coordonné avec Céline Lebrun Israël, un État d'apartheid (2013) et publié tout récemment La Palestine d'Oslo. Ce texte est initialement paru dans la revue Inprecor.

    Faux prétextes et vrais objectifs

    Beaucoup se sont interrogés sur le timing de cette nouvelle agression, afin de comprendre les objectifs réels de l’État d’Israël, au-delà du sempiternel prétexte des tirs de roquettes depuis la bande de Gaza, déjà invoqué lors de la précédente campagne de bombardements en novembre 2012. À l’époque déjà, Israël affirmait intervenir dans le seul but de « protéger » ses habitants des tirs de roquettes. Or, avant le début de l’offensive de 2012, aucun Israélien n’avait été tué par une roquette depuis plus d’un an. L’histoire se répète : Gaza a subi cet été un déluge de fer et de feu alors que la dernière fois qu’un Israélien était mort en raison d’un tir de roquette remontait à… novembre 2012, lors de la précédente opération israélienne.

    Il ne s’agit pas de rentrer dans des décomptes macabres, mais de rappeler certains faits : depuis 7 années que le Hamas a pris le contrôle de Gaza, et avant la dernière agression, 17 Israéliens avaient été tués par des tirs de roquettes, dont 10 pendant les opérations « Plomb durci » (hiver 2008-2009) et « Pilier de défense » (novembre 2012). En d’autres termes, plus de la moitié des victimes des tirs de roquettes ont été tuées pendant les opérations israéliennes, et le chiffre de 17 doit être rapporté à celui de plus de 2.000, le nombre de Gazaouis tués durant la même période… Un déséquilibre à l’image de la réalité des rapports de forces militaires, qui rend d’autant plus scandaleux les discours sur les « menaces » et les « violences » dont serait victime un État d’Israël qui ne ferait que « se défendre ».

    Les vraies raisons de l’agression sont à chercher ailleurs.  Il s’est agi en premier lieu, pour Netanyahou, d’une opération de politique intérieure. À la tête d’une coalition regroupant la droite, l’extrême droite et les colons, Netanyahou a choisi, une fois de plus, la brutalité pour satisfaire des partenaires et un électorat qui se rejoignent dans leur haine des Palestiniens. Après la découverte des corps des trois jeunes Israéliens disparus à proximité d’une colonie de Cisjordanie et la multiplication des exactions contre les Palestiniens, Netanyahou a choisi de répondre aux appels à la haine en allant frapper la population de Gaza, à qui il est pourtant totalement fantaisiste d’attribuer la mort de trois Israéliens à proximité d’Hébron…

    L’opération visait en deuxième lieu à détourner l’attention internationale qui, au cours des semaines précédentes, s’était concentrée sur la Cisjordanie, Jérusalem et Israël, avec la multiplication des appels à la haine et à la vengeance, et les passages à l’acte : de l’horrible mort du jeune Mohammed Abou Khdeir (brûlé vif) au passage à tabac, par la police, de son cousin Tareq, en passant par les ratonnades menées par les colons, les dizaines d’actes criminels alors perpétrés montraient, à qui refusait de le voir, le vrai visage de la violence et du racisme de l’État d’Israël, dont la responsabilité première en incombe bien sûr aux dirigeants israéliens eux-mêmes, et ce malgré leurs hypocrites déclarations condamnant, du bout des lèvres, les exactions commises contre les Palestiniens.

    Briser l’unité nationale palestinienne ?

    Un troisième facteur est à prendre en compte, qu’il ne s’agit toutefois pas de surestimer : l’accord de « réconciliation » signé à la fin du mois d’avril par le Hamas et l’OLP, et la mise en place d’un gouvernement « d’entente nationale » au début du mois de juin. Cet accord, quand bien même il est hautement défavorable au Hamas (nous y reviendrons), était intolérable pour l’État d’Israël, dans la mesure où il contribuait à normaliser le Hamas sur la scène politique régionale, mais aussi internationale, a fortiori après la reconnaissance, par l’Union Européenne et par les États-Unis, de la légitimité d’un gouvernement formellement soutenu par les deux principales composantes du mouvement national palestinien.

    L’une des constantes de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens est en effet la volonté des autorités coloniales (dans la grande tradition du colonialisme) de choisir elles-mêmes les représentants du peuple colonisé, et donc les interlocuteurs éventuels pour d’hypothétiques négociations. Du boycott de l’OLP, désignée comme une « organisation terroriste », durant les années 1970 et 1980 au refus de reconnaître les résultats des élections de janvier 2006 (remportées par le Hamas) en passant par la mise hors-jeu de Yasser Arafat au début des années 2000, les gouvernants israéliens ont en effet toujours voulu imposer aux Palestiniens de « choisir » des « représentants » qui correspondent aux aspirations d’Israël, et non aux intérêts des premiers concernés.

    Le président Mahmoud Abbas était à ce titre l’interlocuteur idéal pour Israël, pour au moins deux raisons, apparemment contradictoires : l’homme est réputé depuis des décennies pour sa « modération » et sa capacité à accepter des « compromis » qui ressemblent davantage à des compromissions, en d’autres termes il est prêt à renoncer à défendre l’essentiel des droits nationaux des Palestiniens en l’échange de quelques avantages matériels et symboliques ; depuis la victoire du Hamas en janvier 2006 et la guerre Fatah-Hamas à Gaza à l’été 2007, Abbas n’exerce aucun pouvoir et n’a aucun contrôle sur la bande de Gaza, et ne peut donc se prévaloir du soutien de l’ensemble des Palestiniens des territoires occupés.

    Tendances capitulardes et faible légitimité sont aux yeux d’Israël les principales qualités du président de l’Autorité Palestinienne (un président dont le mandat a expiré depuis plus de cinq ans…), dans la mesure où elles permettent à la puissance occupante d’entretenir l’illusion d’un hypothétique « processus négocié », qu’Abbas cautionne régulièrement en se rendant à des négociations sous patronage états-unien, tout en sachant parfaitement que le même Abbas est dans l’incapacité d’imposer à la population palestinienne un quelconque « accord de paix » qui équivaudrait à une capitulation. Abbas est une pièce essentielle dans le dispositif de transformation, par Israël, du provisoire en permanent : « Oui, nous occupons, nous colonisons, nous expulsons, nous enfermons, mais tout cela ne durera pas, la preuve : nous négocions avec la représentation palestinienne ».

    L’accord de réconciliation, aussi fragile fut-il, a en partie changé la donne : Mahmoud Abbas aurait en effet pu se prévaloir d’une légitimité nouvelle et, élément essentiel, le Hamas aurait été, symboliquement, associé aux négociations et, partant, reconnu comme un interlocuteur potentiellement légitime sur la scène internationale. Une situation intolérable pour Israël, qui refuse qu’une organisation palestinienne qui n’a pas refusé de déposer les armes et qui est fortement implantée dans la société de Gaza et de Cisjordanie puisse acquérir une quelconque stature de représentant légitime des Palestiniens aux yeux des pays de la région, mais aussi des pays occidentaux. D’où l’offensive de cet été, dont l’un des objectifs majeurs était de pousser le Hamas à la faute et de jeter, une fois de plus, le discrédit sur le mouvement de la résistance islamique en le faisant apparaître comme une « organisation terroriste ».

    Forcer les contradictions du Hamas 

    La signature par le Hamas de l’accord de réconciliation en avril dernier doit en effet être comprise comme une inflexion significative dans l’orientation et la stratégie du mouvement. Les termes de l’accord lui étaient en effet très défavorables et le « gouvernement d’union nationale » qui s’est mis en place quelques semaines plus tard ressemblait à s’y méprendre au gouvernement jusqu’alors en place à Ramallah : « Le cabinet d’entente n’est ainsi que la continuation du cabinet unilatéral et illégal qui l’avait précédé (mêmes premier ministre, vice-premiers ministres, ministre des affaires étrangères, de l’économie, du plan, de la santé, et des affaires de Jérusalem)  ; comme avant la «  réconciliation  », le cabinet, et tout particulièrement le premier ministre, ne sont que des marionnettes de la présidence dénuées de toute investiture législative »[1].

    Ce net recul du Hamas est à comprendre à la lumière des récentes évolutions régionales et de la prise de conscience, par le mouvement de la résistance islamique, de son isolement grandissant et des risques que lui faisait courir son incapacité à améliorer un tant soit peu les conditions de vie des habitants de Gaza. Alors que l’année 2012 avait été une véritable bénédiction pour le Hamas, les dynamiques régionales depuis l’été 2013 lui ont été très défavorables et l’ont contraint à accepter un accord avec Mahmoud Abbas, sous patronage égyptien. Souvenons-nous en effet que, dans la dynamique des (mal nommés) « printemps arabes », le Hamas avait acquis un statut inédit : le boycott du mouvement, décrété par la très grande majorité des États arabes suite aux élections législatives de 2006, avait fait long feu : en janvier 2012, Ismaïl Haniyyah, Premier Ministre du gouvernement de Gaza, était ainsi accueilli par le nouveaux responsables tunisiens ; en juillet, il était officiellement reçu par le Président égyptien fraichement élu Mohammad Morsi, une rencontre inenvisageable durant l’ère Moubarak, assortie d’un considérable allègement du blocus côté égyptien ; la visite en grande pompe de l’Émir du Qatar à Gaza à la fin du mois d’octobre était le dernier événement consacrant la nouvelle centralité régionale de l’acteur politique Hamas.

    Mais les évolutions de la situation en Tunisie, le putsch contre Mohammad Morsi à l’été 2013, la répression massive contre les Frères Musulmans qui s’en est suivie, le pourrissement de la situation en Syrie, ainsi que les errements du Qatar, un nain politique qui se rêvait géant diplomatique, ont considérablement érodé cette centralité, révélant par là même son caractère précaire. Le renforcement du blocus de Gaza consécutif à l’accession au pouvoir du Maréchal Sissi, le tarissement des aides financières venues d’un Iran peu satisfait des positions anti-Assad adoptées par le Hamas, ainsi que le refus de l’AP de Ramallah de payer les salaires des fonctionnaires embauchés par le Hamas à Gaza, ont mis le Hamas dans une situation périlleuse : « Le risque d’explosion sociale contre [les autorités de Gaza] devenait une hypothèse vraisemblable, le blocus ne pouvant éternellement l’exonérer de toute responsabilité, alors même qu’aucun bouleversement de la conjoncture diplomatique n’était à attendre à court terme »[2].

    Telles sont les raisons qui ont conduit un Hamas exsangue à accepter une « réconciliation » qui n’en était pas vraiment une, dans la mesure où l’accord contenait essentiellement des dispositions techniques (fusion des fonctions publiques, retour de la Garde présidentielle à Gaza, organisation d’élections générales, etc.) mais en aucun cas un programme politique. Cette « réconciliation » a été le fait de deux acteurs affaiblis et contestés sur la scène politique palestinienne. N’oublions pas en effet que lors du dernier scrutin organisé en Cisjordanie, à savoir les élections municipales de l’automne 2012, la défaite de Mahmoud Abbas a été quasiment totale, et ce malgré le boycott du Hamas : faible intérêt (peu de candidats, 80 villes sans aucune liste), faible participation (à peine 50%, contre 73% lors du précédent scrutin), et surtout défaite de la plupart des candidats du Fatah soutenus par la direction Abbas (en général battus par des dissidents du Fatah, comme à Naplouse, Jénine ou Ramallah).

    La « réconciliation » est donc en réalité assimilable à « une sorte de cessez-le-feu entre deux frères ennemis décidés à surseoir sur la scène palestinienne à toute métamorphose définitive tout en sachant s’adapter aux bouleversements de la scène régionale et internationale »[3]. Pour le Hamas, il s’agissait notamment de renoncer (provisoirement ?) à l’exercice (et à l’usure) du pouvoir dans les structures de l’Autorité Palestinienne, d’opérer un recentrage vers ses activités plus traditionnelles (réseau associatif, gestion des mosquées) tout en sortant de l’isolement et en redevenant un élément incontournable de la scène politique palestinienne. Une attitude pragmatique de la part du mouvement de la résistance islamique, qui a su tirer le bilan de l’expérience Mohammad Morsi et de sa propre expérience au pouvoir, qui l’a mis en contradiction vis-à-vis de sa propre base, davantage convaincue de la nécessité de poursuivre la résistance contre Israël que de (co-)gérer un appareil d’État fantoche.

    Cette inflexion notable était inacceptable pour l’État d’Israël, qui ne peut tolérer un Hamas en voie de normalisation et enclin au compromis, pas plus qu’une « unité » palestinienne, aussi formelle soit-elle. L’offensive de cet été était donc essentiellement dirigée contre le Hamas, avec l’arrestation de centaines de militants et de dizaines de cadres en Cisjordanie et une offensive d’ampleur contre l’appareil militaire du Hamas à Gaza, destinées à affaiblir les structures du mouvement et à pousser le Hamas à reprendre le chemin qu’il avait abandonné depuis près de deux ans, celui de la résistance armée. L’État d’Israël pouvait ainsi espérer faire d’une pierre deux coups : mettre provisoirement le Hamas hors jeu et contraindre Mahmoud Abbas à renoncer à toute entente avec une organisation « hostile à la paix » : « L’offensive israélienne ne répond donc absolument pas à une quelconque radicalisation des Palestiniens ou du Hamas. Au contraire, c’est une offensive contre les concessions faites par le Hamas et contre la réconciliation palestinienne »[4].

    Une défaite politique et militaire d’Israël

    Le moins que l’on puisse dire est qu’Israël n’a pas atteint ses objectifs, ou alors très partiellement et de manière collatérale. Le Hamas ne sort pas affaibli, mais plutôt renforcé par cette nouvelle offensive, au cours de laquelle il a notamment démontré des capacités militaires inédites. Malgré l’impressionnant déploiement israélien, avec notamment le rappel de 60.000 réservistes et le développement d’une puissance de feu que Gaza n’avait jamais connue, y compris lors des offensives de l’hiver 2008-2009 et de l’automne 2012, le Hamas (et les autres organisations de la résistance palestinienne) ont, dans une large mesure, « tenu bon ». Les tirs de roquettes, quand bien même ils n’ont occasionné que très peu de pertes à Israël, n’ont jamais cessé, et surtout l’invasion terrestre israélienne s’est soldée par la mort de plus de 60 soldats, incapables de neutraliser les groupes armés et de réellement contrôler les quartiers envahis. Le « cessez-le-feu » a donc été signé alors qu’Israël n’avait absolument pas atteint ses objectifs militaires.

    Qui plus est, malgré les terribles dommages matériels et humains causés par l’agression israélienne, les habitants de Gaza ne se sont pas majoritairement désolidarisés des combattants armés, comme en témoignent notamment l’affluence lors des obsèques des trois commandants militaires du Hamas assassinés à la mi-août par Israël ou les appels répétés de personnalités et organisations de la société civile de Gaza soutenant le droit des Palestiniens à avoir recours à la lutte armée. Autre indice : contrairement à ce qui s’était passé à l’hiver 2008-2009, Mahmoud Abbas et ses proches ont été dans l’impossibilité de dénoncer le Hamas ou de lui faire porter la responsabilité de la tragédie qu’a connue Gaza cet été. C’est l’union nationale qui a primé, et on a même pu voir un certain nombre de diplomates palestiniens représentant les autorités de Ramallah s’exprimer sur des chaines de télévision occidentales pour affirmer leur soutien à l’ensemble des organisations palestiniennes, y compris le Hamas, et à la lutte armée.

    Quand bien même les griefs contre le Hamas étaient nombreux de la part de la population gazaouie, celle-ci a su faire la part des choses : « Il y a eu une accumulation de rancœurs contre le Hamas, ce qui se comprend parfaitement. Les gens ont attribué leur malheur et leur misère à la présence du Hamas, surtout après le retournement égyptien. Pour les Gazaouis, l’Égypte est fondamentale. Et savoir que leurs gouvernants sont la nouvelle bête noire du régime du Caire n’est pas chose aisée. En revanche, les Gazaouis voient aussi très bien que l’offensive israélienne a eu lieu au moment même où le Hamas entamait le tournant que tous souhaitaient. C’est-à-dire la réconciliation et un changement de cap, sur une ligne plus modérée, pour sortir de l’asphyxie qui est leur lot depuis si longtemps »[5]. Une « modération » qui s’est d’ailleurs incarnée dans les termes mêmes du « cessez-le-feu » finalement obtenu à la fin août.

    Pas de victoire pour les Palestiniens 

    Les exigences palestiniennes en ce qui concernait le cessez-le-feu témoignent en effet de l’absence de toute « radicalité » dans le camp palestinien. Quelles étaient ces demandes ? La levée du blocus, évidemment, qui passe notamment par l’ouverture des frontières avec Israël et avec l’Égypte, la réhabilitation du port et de l’aéroport de Gaza (détruit et fermé depuis la fin de l’année 2000), l’extension à 10 kilomètres de la zone de pêche au large de Gaza. Comme l’a souligné la juriste Francesca Albanese, qui a travaillé durant 8 ans pour l’ONU, « aucune de ces revendications n’est nouvelle. Les Nations Unies, entre autres, ont régulièrement exigé la levée du siège, siège illégal selon la législation internationale, comme une condition nécessaire pour mettre fin à la situation humanitaire désastreuse dans la Bande. Faciliter les mouvements des marchandises et des gens entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza avait déjà été stipulé dans l’Agrément sur le Mouvement et l’Accès (AMA) signé entre le gouvernement d’Israël et l’Autorité Palestinienne en 2005. Même la construction d’un port et la possibilité d’un aéroport à Gaza avaient déjà été stipulées dans l’AMA, alors que leur réalisation effective n’a jamais suivi. La demande d’élargissement de la zone de pêche autorisée est inférieure à celle envisagée en 1994 dans les Accords d’Oslo et elle faisait déjà partie de l’arrangement du cessez-le-feu en 2012 »[6].

    Rien de « maximaliste » ou de « radical » dans de telles exigences, qui correspondent tout simplement au minimum vital pour la population de Gaza, et qui sont reconnues comme légitimes par l’ensemble des organismes internationaux. Ce sont ces revendications qu’Israël a refusé d’entendre, démontrant une fois de plus que ce que la puissance occupante refuse au nom de sa prétendue sécurité n’est pas la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens (eux aussi consacrés par le droit international) mais l’établissement des conditions de la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires : circuler, se loger, se soigner, se nourrir convenablement, s’éduquer. D’où l’exaspération de la population de Gaza et des organisations de la résistance palestinienne, et ce sentiment diffus chez les habitants de l’enclave, et ce malgré la violence de l’agression, tel que le résumait Raji Sourani du Palestinian Center for Human Rights (PCHR) : « Plutôt mourir que revenir à la situation antérieure ».

    Nulle intransigeance donc de la part des Palestiniens, mais au contraire une certaine modération puisque nulle organisation n’a demandé la satisfaction de l’ensemble des droits nationaux des Palestiniens (fin de l’occupation civile et militaire, droit à l’autodétermination et droit au retour des réfugiés) en échange d’un cessez-le-feu, mais seulement des droits basiques et un peu d’oxygène. L’intransigeance est à situer, une fois de plus du côté de l’État d’Israël, qui a démontré à qui voulait l’oublier qu’il poursuit, au nom de sa soi-disant « sécurité », une entreprise méticuleuse de destruction de la société palestinienne afin de l’empêcher de pouvoir revendiquer collectivement ses droits. Tel était l’un des objectifs inavoués de l’agression contre Gaza : renvoyer la petite bande côtière à l’âge de pierre afin que les préoccupations de la population ne soient pas liées à la lutte pour la fin de l’occupation mais à la lutte pour la reconstruction et la survie.

    Difficile donc, dans de telles conditions, de parler de véritable « victoire » pour les Palestiniens, qui n’ont obtenu satisfaction que sur une partie de leurs revendications, pourtant déjà modérées, avec un allègement partiel du blocus, une extension de la zone de pêche et des discussions à venir sur le port et l’aéroport de Gaza. Aucune garantie, en somme, d’une véritable levée du blocus et d’une amélioration significative des conditions de vie des Palestiniens de Gaza. Il ne s’agit bien évidemment pas d’être jusqu’au-boutiste et de défendre une stratégie du « tout ou rien », et l’on ne peut que se réjouir du fait que les Gazaouis ne soient plus sous les bombes. Force est toutefois de constater que les célébrations organisées par le Hamas suite à la signature de la trêve et les discours enflammés de ses dirigeants sur « l’immense victoire de la résistance palestinienne » sont en grand décalage avec la réalité, ce que les Gazaouis ne manqueront, et ne manquent déjà pas, d’observer.

    Et maintenant ?

    Les développements consécutifs à l’agression israélienne de cet été confirment que les dynamiques fondamentales n’ont guère changé : l’annonce, début septembre, de la saisie de 400 hectares de terres en Cisjordanie par les autorités israéliennes indique que ces dernières n’ont en aucun cas renoncé à poursuivre l’entreprise coloniale sioniste, et souhaitent même l’accélérer ; l’incapacité du Hamas et de Mahmoud Abbas à s’entendre concrètement sur la mise en pratique de l’accord de « réconciliation » confirme que ce dernier était très formel et précaire ; la multiplication des manifestations (sévèrement réprimées) en Cisjordanie et à Jérusalem indique, dans la foulée de celles qui ont eu lieu cet été, que la stabilisation totale du dispositif d’occupation demeure un objectif impossible à atteindre, et ce malgré la collaboration ouverte des forces de sécurité palestiniennes de Cisjordanie.

    Alors même que l’administration états-unienne prétendait, il y a moins d’un an, « relancer le processus négocié » en vue de la signature d’un accord global et durable entre Israël et les Palestiniens, l’offensive contre Gaza, la plus meurtrière de ces dernières décennies, confirme qu’il est vain de prétendre « négocier » avec Israël, et que tous ceux qui acceptent les règles du jeu du « processus de paix » agissent, consciemment ou non, contre les intérêts nationaux des Palestiniens, en maintenant l’illusion d’une paix possible avec la puissance occupante. Les Palestiniens n’ont pas besoin d’un pseudo-gouvernement « d’union nationale » et d’accords techniques et ponctuels entre les principales organisations palestiniennes, quand bien même ceux-ci peuvent être interprétés comme des éléments positifs par ceux qui luttent contre le poison de la division. Les attributions et les pouvoirs d’un tel gouvernement sont en effet ceux que l’État d’Israël veut bien lui attribuer, et il est dès lors vain de penser qu’il pourrait être un point d’appui pour construire un réel rapport de forces contre le pouvoir colonial. 

    Ce que la récente séquence à Gaza et, dans une moindre mesure, en Cisjordanie, a montré, c’est que les Palestiniens n’étaient jamais aussi forts et unis que lorsqu’ils combattent de concert les forces d’occupation. La seule « unité nationale » durable ne peut se faire que sur un programme et une stratégie de lutte et de résistance, et non sur la répartition des rôles et des postes au sein d’un pseudo-appareil d’État, l’Autorité Palestinienne, dont le rôle n’est pas d’organiser la lutte nationale palestinienne mais de la canaliser et, si nécessaire, de la détruire. L’AP est en effet une structure qui a été conçue, lors des Accords d’Oslo, pour neutraliser la résistance et la population palestiniennes, et pour donner l’illusion d’une autonomie et d’interlocuteurs légitimes pour « négocier ». Elle a depuis trouvé sa propre raison d’être et nombreux sont ceux qui, au Fatah d’abord, puis au Hamas après sa prise de contrôle de Gaza, ont choisi de sacrifier les intérêts des Palestiniens sur l’autel des avantages matériels et moraux que confèrent la gestion d’un pseudo-appareil d’État.

    Ceux qui ont cru, comme certains au Hamas, pouvoir transformer l’AP « de l’intérieur », savent désormais ce qu’il en est : le problème n’était pas tant celui d’individus peu scrupuleux et enclins à la collaboration que celui d’une pseudo-autonomie qui n’est que la poursuite de l’occupation par d’autres moyens. Nombre de voix lucides en Palestine s’élèvent aujourd’hui : l’heure est la reconstruction de la résistance (création de structures militantes unitaires à la base, d’un commandement unifié de la lutte, de syndicats indépendants de l’AP, de coopératives agricoles, de comités de village…) et non à la lutte stérile pour le contrôle d’un pseudo-appareil d’État prêt à signer un accord entérinant la cantonisation et voué à n’être qu’un sous-traitant des basses œuvres de l’armée israélienne, ou à être liquidé s’il ose revendiquer des droits pour les Palestiniens.

    Les événements de cet été indiquent que la crise du « processus de paix » et du mouvement national palestinien vont se poursuivre, à mesure que la parenthèse d’Oslo (et de l’illusion d’une « autonomie » conduisant à une paix durable négociée) va se refermer. De nouvelles crises et confrontations sont à prévoir, dont la forme et l’issue sont incertaines, a fortiori dans la mesure où elles seront en grande partie tributaires des évolutions du processus révolutionnaire régional. Si la première condition pour la construction d’un nouveau rapport de forces contre Israël est en effet la rupture avec le logiciel d’Oslo et l’élaboration de structures et de stratégies permettant la reconstruction du nationalisme palestinien, il serait toutefois inopportun d’oublier que seul un nouveau rapport de forces régional, permettant aux Palestiniens de sortir de leur tête-à-tête avec un État d’Israël soutenu par l’ensemble des pays occidentaux, pourra permettre d’imaginer un avenir plus radieux.

    [1] Jean-François Legrain, Le leurre de la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas, Orient XXI, 2 juillet 2014.

    [2] Idem.

    [3] Idem.

    [4] Gilbert Achcar, « Une offensive contre la réconciliation palestinienne », Politis, 24 juillet 2014.

    [5] Idem.

    [6] Francesca Albanese, « Le silence assourdissant autour de la proposition du Hamas d’une trêve de 10 ans », Agence Médias Palestine, 11 août 2014.


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  • Pour des universités plus justesQuatre enseignants-chercheurs français travaillant en Amérique proposent leur regard sur le « modèle libéral » à la française : celui-ci prétend s’inspirer des États-Unis, mais ne fait qu’accentuer des travers typiquement français ; il prétend faire confiance au marché alors qu’il ne fait que renforcer la hiérarchie. La réforme actuelle entérine en réalité la paupérisation générale des formes de solidarité qui affectent nos sociétés.

    Nous, professeurs formés en France, vivons par choix, en Amérique du nord, dans ce monde universitaire qui sert, dans le discours des décideurs, de modèle à la réforme. Nos universités sont « autonomes ». Nous sommes évalués par des comités strictement internes à notre université, où siègent nos pairs et qui décident de notre titularisation (tenure) après une période de 6 à 9 ans, la promotion la plus importante pour notre carrière. Pour prendre cette décision, nos pairs évaluent la qualité de notre recherche en fonction de critères qualitatifs, notamment en lisant nos travaux et en collectant les jugements écrits envoyés par des universitaires du même champ de recherche que nous mais travaillant dans d’autres institutions. Nous sommes donc évalués à la fois par nos collègues les plus proches, mais aussi par ceux qui sont les spécialistes de notre domaine de recherche. Ces deux modalités d’évaluation garantissent une procédure juste à plusieurs niveaux : notre engagement au sein du collectif que constitue notre département est évalué par ceux et celles qui ont pu directement l’observer (ils et elles disposent également des évaluations que nos étudiants donnent chaque année de notre enseignement), et la qualité scientifique de notre travail (et non seulement sa quantité) est évaluée par ceux et celles qui sont les plus susceptibles de la connaître de façon détaillée et de pouvoir mesurer son apport à la recherche existante [1].

     

    Nous ne craignons pas non plus, de ce côté-ci de l’Atlantique, de savoir que c’est le président de notre université qui décide en dernière instance de notre embauche et de notre progression de carrière, car ses décisions ne font le plus souvent qu’avaliser celles prises par les instances collégiales. Cette préséance, informelle, donnée au choix des assemblées départementales sur la hiérarchie purement administrative, malgré le pouvoir exécutif concentré dans les mains des présidents d’université, s’explique par la relation de confiance qui existe entre les différents acteurs du processus et en particulier en ce qui concerne le jugement scientifique émanant des pairs réunis au sein d’un même département généralement organisé sur la base d’une même discipline (mais pas toujours). Le jugement par les pairs constitue en effet la pierre angulaire du système universitaire nord-américain et la traduction concrète du principe de liberté scientifique.

     

    Pourquoi, alors que la réforme actuelle se propose d’aligner la France sur ce modèle nord-américain, nos collègues français craignent-ils le pire ? C’est qu’entre le modèle et son application, il peut y avoir un gouffre selon les universités. Gouffre d’autant plus grand par rapport aux attentes qu’il n’est pas précisé si les universités françaises s’inspireront du modèle managérial qui se diffuse de la Grande-Bretagne à l’Europe, ou du modèle collégial nord-américain.

     

    Les travers du recrutement à la française vus depuis l’Amérique du Nord

     

    En France, le système précédent avait ses défauts. Certains de nos collègues travaillent dans des universités dont les procédures de décision collective sont opaques. Dans ces universités-là tout particulièrement, nos collègues français redoutent de ne pas avoir leur mot à dire sur la définition des critères d’évaluation qui seront retenus aussi bien pour l’évaluation de leur « performance » que pour celle des futur-es candidat-es au recrutement dans leurs départements. Comment s’assurer que c’est la collégialité, la responsabilité collective, et le travail en commun qui vont l’emporter sur les anciennes pratiques d’opacité et de népotisme, là où elles avaient cours ?

     

    L’opacité est évitée en Amérique du Nord au niveau du recrutement car nous sommes embauchés après un vote collégial, le plus souvent à l’unanimité, mais parfois à la majorité, de l’ensemble des enseignants chercheurs de notre discipline réunis au sein du département que nous intégrerons. Notre embauche engage donc la responsabilité de chacun et de tous. De ce fait, la progression professionnelle de chacun et chacune (l’obtention de la titularisation par exemple), constitue un enjeu non seulement pour la personne concernée mais aussi pour l’ensemble du département. Cette spécificité a été ignorée par le gouvernement lorsqu’il a réformé les commissions de spécialistes chargées de s’occuper des recrutements, et cela n’est pas fait pour rassurer nos collègues français.

     

    La loi sur la responsabilité des universités (LRU) prévoit en effet des comités de recrutement à géométrie variable (entre 8 et 24 personnes), rendant ainsi possible des recrutements effectués par un peu plus d’une poignée de personnes, choisies ou avalisées par le président d’université. La réforme laisse donc les universités choisir si elles s’orienteront vers un modèle collégial (à supposer qu’un département compte moins de 24 personnes), ou pas. Or, étant donné les pratiques existantes, on peut gager que ce n’est pas le modèle collégial qu’elles imposeront. Ainsi, la réforme laisse ouverte la possibilité que les futures recrues intégreront leur département sans que la majorité des enseignants-chercheurs qui y travaillent déjà aient eu la chance de participer à la décision –autrement que de façon informelle et par le biais de politiques de couloirs et d’influence. Ils n’auront pas la possibilité d’entendre les différents candidats exposer leurs recherches et leurs résultats scientifiques, ni de débattre entre eux des critères d’évaluation des dossiers dans le contexte précis de cette embauche, de sa conformité avec l’identité du département ou ses besoins.

     

    Au contraire, dans un département nord-américain, chaque recrutement est l’occasion pour la vingtaine, voire la trentaine de collègues, suivant la taille du département, de débattre de l’avenir collectif de leur département et de ses règles de fonctionnement, ce qui permet à chacun de se sentir solidaire des décisions prises par la suite. Ce processus contribue à faire du département une unité de décision souveraine, qui ne pourra être remise en cause par l’administration centrale qu’en cas de violation de procédure (par exemple, dans le cas quasi inimaginable ici d’un recrutement « local », c’est-à-dire d’un doctorant formé dans le département qui le recrute immédiatement, ou peu de temps, après sa thèse). Et c’est cette souveraineté dans la décision collective qui crée la collégialité et le sentiment d’une responsabilité et d’un avenir commun. À chaque recrutement ce sont les objectifs du département, ses missions, ses priorités qui sont discutées, contribuant ainsi à forger une identité collective et le sentiment, pour chacun, d’avoir une prise sur son contexte de travail et sur l’institution dont il fait partie.

     

    On ne peut pas ignorer d’autres travers que la LRU ignore. En Amérique du Nord, les trois ou quatre candidats qui ont été sélectionnés pour passer l’oral de recrutement sont évalués chacun pendant un ou deux jours pleins (l’université qui recrute prend bien sûr à sa charge tous les frais de transport et d’hébergement du candidat). En effet, aux États-Unis, le candidat, outre la présentation critique qu’il fait de ses résultats pendant une heure et demie devant l’ensemble de ces futurs collègues potentiels, rencontre une large majorité d’entre eux sur une base de rendez-vous individuels officiels, parfois de huit heures du matin à dix heures le soir et ce pendant deux jours. Au Canada, en plus de la présentation « scientifique », les candidats doivent aussi souvent préparer un cours magistral qu’ils délivrent devant un parterre d’étudiants dont les représentants communiqueront lors de la délibération du département une évaluation orale, utile à la décision finale. Puis, le département se regroupe, croise et nuance son évaluation du candidat. Ce genre d’épreuve permet d’obtenir une évaluation assez complète d’un candidat que la plupart des membres du département n’avaient pas rencontré avant cet oral.

     

    Et en France, que fait-on ? La réponse, tout le monde la connaît. C’est le «  speed dating  » intellectuel qui y est monnaie courante, avec un oral de quinze minutes sur un « projet » présenté par le candidat devant un comité, et rien d’autre. Pas de présentation scientifique, puisqu’on ne parle que de ce qu’on va faire, et pas de ce qu’on a fait. Pas de rencontre collective ou individuelle avec ses futurs collègues – si ce n’est sur le mode de réseaux informels et de liens amicaux qui ne sont pas forcément garants de la plus grande transparence dans la procédure. Pas de possibilité pour les enseignants-chercheurs déjà en poste de confronter leurs points de vue et de discuter des règles de l’évaluation. L’absence de collégialité est totale.

     

    Devant l’organisation actuelle du « marché » universitaire, il n’est dès lors pas étonnant, comme le montre Olivier Godechot, que le recrutement soit « local » pour environ un tiers des recrutements d’enseignants-chercheurs en France, c’est-à-dire que soient recrutés des étudiants des professeurs d’un département dans le département où ils ont effectué leur thèse [2]. Car le recrutement « local » est en fait la conséquence de cette absence de procédures collégiales et transparentes, comme le disent Olivier Bouba-Olga, Michel Grossetti, Anne Lavigne [3], et aussi de la culture mandarinale française, qui cultive les « liens forts » et hiérarchiques par rapport aux liens faibles du réseau et du marché (un étudiant est ainsi recruté par son directeur de thèse, et peut rester dans ce rapport d’autorité de longues années). Dans un système où l’évaluation par le marché est collégiale, comme aux États-Unis, on s’aperçoit que le recrutement « local » est quasi inexistant et formellement prohibé.

     

    Dire que le recrutement « local » est la conséquence de la désorganisation du marché universitaire français ne revient pas à le cautionner. Au contraire. Car même si le recrutement « local » peut permettre de recruter de « bons » étudiants (dans la mesure où ils ont été évalués en interne pendant leurs années de thèse par le département qui les recrute), ce type de procédure choque le sens de la justice de quiconque sait faire la différence entre « justice des résultats » et « justice procédurale » [4]. Peu importent les résultats de l’évaluation (quand bien même un bon étudiant serait recruté), si la procédure est viciée, où si elle est tout simplement inexistante, on est en droit de dénoncer l’injustice des procédures de recrutement. Ainsi s’explique que les opposants au nouveau décret dénoncent les possibilités de « népotisme » et de favoritisme qu’il ouvre en donnant la possibilité d’obtenir de meilleures conditions de travail à certains (qui pourraient mettre en concurrence plusieurs institutions souhaitant les embaucher), alors qu’aucun contrôle de la justice procédurale de l’évaluation produite par le marché n’est actuellement en place.

     

    Évaluation par le marché ou évaluation par l’institution : deux modèles opposés

     

    Dans la mesure où la LRU et le décret sur le statut des enseignants-chercheurs mis en place actuellement par le gouvernement permettent aux enseignants-chercheurs de négocier auprès de leur université un meilleur statut (salaire, charges de cours etc.), ces réformes vont créer de facto un marché des enseignants-chercheurs [5]. Ceux-ci iront chercher ailleurs les conditions de travail qu’ils désirent, si leur université ne les leur fournit pas. Le marché devient alors un mécanisme d’évaluation central du système. Il faut donc qu’il assure une forme de justice dans la distribution des biens, ici des postes et des conditions de travail. En Amérique du Nord, la possibilité d’obtenir une offre d’une université concurrente est un facteur de progression de carrière aussi important que l’obtention de la titularisation. Pour garder un chercheur qui obtient une offre alléchante, une université devra lui accorder les conditions qu’il exige. Mais ici, contrairement à la France, les évaluations lors des recrutements sont collégiales, ce qui donne à la communauté universitaire le sens que les procédures sont justes, et que les décisions ne lui échappent pas. En d’autres termes, la collégialité du recrutement est la pierre de touche, ou le contrepoids nécessaire, d’un système dans lequel les offres de recrutement et donc le marché est, de facto, un mécanisme central d’évaluation des universitaires.

     

    Devant cet enjeu, qu’a fait le gouvernement ? Il a choisi d’ignorer le problème posé par les carences des procédures de recrutement. Certains conseillers ont pu penser qu’en situation de pénurie de postes, la sursélection garantissait la qualité des recrutements. Mais c’est là faire une erreur grossière que réduire le sens de la justice à celle des résultats, et d’oublier l’importance de la justice procédurale. Le gouvernement est doublement fautif puisqu’il a même accentué les défauts de l’ancien système : les nouvelles commissions de spécialistes risquent d’accroître la distance entre ceux qui décident au sein des commissions et les futurs collègues de ceux qui seront recrutés au sein des laboratoires et départements.

     

    On comprend dès lors pourquoi le gouvernement cherche aujourd’hui à contourner ce problème en établissant des critères technocratiques qui permettront de créer des « évaluations par l’institution » (plutôt que par le marché universitaire) en demandant aux équipes de direction des universités d’élaborer des critères comptables pour juger leurs enseignants-chercheurs, afin de décider comment seront distribuées les grâces (dispenses de cours, congés sabbatiques, etc.). Selon une tradition bien française, le gouvernement refuse de laisser un marché organisé de façon collégiale opérer librement, et préfère remettre à quelques évaluateurs technocratiques le choix de distribuer les bons points et les mauvais points à l’interne, dans chaque institution isolée, et selon un modèle hiérarchique.

     

    Le décret préparé par le gouvernement stipule en effet que nos collègues français seront évalués par leur université tous les quatre ans. C’est là le signe que l’évaluation sera organisée selon des critères plus bureaucratiques que collégiaux et académiques. On peut craindre que les universités décident, comme, ce fut le cas en Grande Bretagne durant les années Thatcher de s’inspirer des méthodes de management soi-disant rationnelles [6], alors que ces méthodes sont aveugles au tissu sociologique qui permet aux chercheurs de produire des savoirs nouveaux. Un exemple : comment les procédures d’évaluation vont-elles aborder l’épineux problème de l’égalité hommes-femmes ? On sait que la maternité pénalise les carrières des femmes, ou plutôt qu’elle bonifie celles des hommes, à l’université comme ailleurs. Si les critères sont ceux du nombre de publication, comment une jeune femme pourra-t-elle prétendre à un avancement similaire à ceux de ses collègues hommes si son rythme de publication a été ralenti par une maternité ? Avec quelles règles d’évaluation cette question va-t-elle être tranchée ? Suivant quels principes de justice et d’égalité ? La question a-t-elle seulement effleuré les rédacteurs de la loi alors même que la « disparition » des femmes au fur et à mesure que l’on augmente dans la hiérarchie universitaire constitue un des exemples de plafond de verre les plus problématiques de la fonction publique ? [7]

     

    Autre enjeu crucial laissé sur le carreau de la réforme, celui des critères de l’évaluation scientifique. Il est important de rappeler que la mission d’évaluation des laboratoires, unités ou encore écoles doctorales confiée à l’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) suscite un vif débat autour des critères d’évaluation retenus. Prenons l’exemple de la science politique pour illustrer l’impérieuse nécessité de parvenir à des outils de mesure qualitative et quantitative de la production scientifique. À défaut de mesures bibliométriques ou réputationnelles, un seul classement [8] prévaut aujourd’hui pour les revues françaises de science politique. Pis encore, aucune catégorisation des revues scientifiques étrangères de science politique n’existe, laissant un vide préjudiciable pour les chercheurs publiant leurs travaux dans de telles revues.

     

    L’absence de telles règles clairement définies entretient de nouveau une forte incertitude autour des procédures d’évaluation. Envisager un bilan de compétence quadriennal des enseignants chercheurs sans même disposer dans certaines disciplines d’un outil de l’évaluation de la recherche confirme la précipitation dans laquelle l’université française se réforme. Le gouvernement s’est-il assuré qu’une concertation préalable sur les règles d’évaluation avait été menée au sein des universités avant de leur accorder leur autonomie ? Non, il semble plutôt s’être lavé les mains des conséquences concrètes de l’autonomisation pour les enseignants chercheurs. Pour que nos collègues français aient confiance dans la façon dont leurs universités vont évaluer leur travail, il eût fallu que le gouvernement mît en marche leur autonomisation après une concertation sur les procédures dans chacune d’entre elle.

     

    En Amérique du Nord notre université ne nous évalue que deux fois au cours de notre carrière : après 6 ou 7 ans pour la titularisation, puis lorsque nous sommes prêts pour devenir « full professor  ». Pourquoi ? Parce qu’une évaluation selon des critères académiques, qui ne se réduisent pas à la simple réputation mesurée en nombre de publication et de citations, mais aussi en terme d’originalité [9] demande une évaluation collégiale, qui demande à nos pairs de lire nos livres et nos articles afin de les évaluer à leur juste valeur. Un tel effort ne peut être répété tous les quatre ans, à moins de ne devenir qu’une formalité de plus. Sinon, l’évaluation des universitaires s’assimile à un « bilan de compétences », et la fréquence fixe de ce bilan non seulement rigidifie les possibilités de moduler les services, mais retire aussi aux enseignants chercheurs la maîtrise du temps de l’évaluation. De plus, ces évaluations internes et bureaucratiques seront rendues caduques et inutiles dès lors que le marché peut produire sa propre évaluation, et que les enseignants-chercheurs pourront mettre les universités en concurrence en obtenant des offres de recrutement plus alléchantes.

     

    Ainsi, on retombe alors sur le problème précédemment évoqué : en refusant de s’attaquer à la réforme des procédures de recrutement avant de commencer les autres réformes, le gouvernement n’a pas réussi à instaurer les conditions qui rendraient acceptable une réforme du statut des enseignants-chercheurs. Il est on ne peut plus regrettable que le gouvernement se méfie des évaluations produites de façon collégiale par le marché universitaire. Au lieu d’aider le jeu régulé du marché à produire des évaluations justes, il impose des règles contestables au sein des institutions, et en asséchant le marché universitaire. Bel exemple du modèle « libéral » à la française, qui prétend s’inspirer des États-Unis, mais qui ne fait qu’accentuer des travers typiquement français ; et qui prétend avoir confiance dans le marché alors qu’il ne fait que renforcer la hiérarchie.

     

    L’évaluation : un enjeu de société

     

    Il est donc urgent d’organiser une concertation transparente dans chaque université pour éviter la mise en place de ces procédures de décision inadéquates qui pèseront sur les générations futures de chercheurs et chercheuses. Il est impératif que les évaluations par le marché soient encadrées par une charte de l’université, qui devrait être signée avant la mise en place du décret, et qui spécifie : 1) que les décisions de recrutement devront être soumises au vote de l’ensemble des enseignants-chercheurs du département recruteur (ou du laboratoire si c’est un laboratoire qui recrute) en utilisant les dispositions ouvertes par la loi qui permettent à 24 personnes de siéger ; 2) que les procédures de recrutement devront suivre un modèle scientifique avec présentation des résultats devant le collège des enseignants et discussion soutenue pendant plusieurs jours des candidats avec leurs futurs collègues ; 3) que les recrutements « locaux » devront être interdits, saufs exception motivée par un vote à l’unanimité des enseignants-chercheurs (chaque enseignant-chercheur disposant d’un droit de veto sur tout recrutement local) ; 4) que les conditions actuelles de l’enseignant-chercheur serviront de plancher à la réforme, et que le contrat d’enseignant-chercheur ne pourra pas être révisé à la baisse, par exemple par augmentation de la charge de cours.

     

    Le dernier point s’explique par le fait que même l’application d’un véritable modèle nord-américain serait vouée à l’échec si l’État continuait à se désengager du financement des universités en prônant une politique à courte vue qui pénalise aujourd’hui les chercheurs et les doctorants, et demain les générations d’étudiants formés par l’université et de citoyens vivant dans un pays qui n’aura plus les moyens de ses ambitions. Les enseignants-chercheurs français doivent enseigner moins, pas seulement pour faire plus de recherche, mais même pour ceux qui n’en font pas, pour enseigner mieux. Il faut arrêter de tordre des chiffres en faisant croire que les enseignants-chercheurs travaillent très peu au vu du reste des « salariés », ou même de leurs collègues de classes préparatoires, qui ont plus d’heures de cours par semaine. Mais rappelons que ces derniers n’ont pas des amphithéâtres de quatre cents personnes devant eux ni des étudiants en tutorat, et qu’il serait peut-être bon qu’ils enseignent moins pour mieux s’occuper du tutorat. Rappelons aussi que les enseignants-chercheurs français « enseignent » beaucoup plus que nous, en Amérique du Nord. Car par « enseignement », il ne faut pas seulement compter les heures passées en amphithéâtre, mais aussi les heures de correction de copies par exemple. Ici, nous avons tous des assistants, qui corrigent les copies de nos étudiants au delà de vingt élèves, alors que nous entendons des histoires ici incroyables d’enseignants-chercheurs français ayant eu à corriger 400 copies d’étudiants d’un même cours – pour un quart d’heures par copies, comptez le nombre de semaines nécessaires pour corriger les copies d’un seul cours !

     

    L’idée qu’il serait possible d’augmenter la charge de cours pour ceux qui ne font pas de recherche passe allégrement sur le fait que les étudiants des universités françaises ont eux aussi le droit d’avoir de bons enseignants-chercheurs, qui ne soient pas accaparés par de trop nombreuses charges de cours, surtout si l’on souhaite par l’exemple, créer les vocations scientifiques qui font de plus en plus cruellement défaut dans les sciences dures par exemple. Cette idée ne fait que conforter le mépris explicite de certains commentateurs à l’égard des enseignants-chercheurs, et le mépris implicite pour leurs étudiants. Ne nous y trompons pas, nous n’avons pas affaire ici à un anti-intellectualisme classique : la critique est énoncée par des intellectuels publics qui ne méprisent pourtant pas les choses de l’esprit. Ceux qui méprisent les enseignants-chercheurs, et leurs étudiants, voient les universités comme une éducation supérieure de masse au rabais, et cela ne leur pose pas de problème de rabaisser un peu plus la qualité des cours en augmentant les charges. Car les universités n’étant pas des grandes écoles, elles ne sont pas destinées à former l’élite du pays, dont le sort seul les concerne. Pour ce gouvernement, et les commentateurs qui vont dans le même sens, les enseignants-chercheurs doivent être soumis aux mêmes critères d’évaluation que ceux qu’ils forment, à savoir les étudiants, futurs salariés, qui vont intégrer le monde du travail au milieu et non en haut de l’échelle.

     

    Pourquoi est-il si difficile aujourd’hui de défendre les valeurs qui sont au fondement de l’activité scientifique : indépendance du pouvoir, liberté d’expression, évaluation des résultats par les pairs ? Défendre ces valeurs pour les universitaires n’est pas seulement une réaction corporatiste. C’est défendre plus largement l’idée que toutes les sphères de la société ne peuvent et ne doivent pas être soumises au même type de rapports de pouvoir. Et c’est implicitement remettre en cause le système d’évaluation du travail qui s’est généralisé dans notre société et dont on commence aujourd’hui à percevoir et mesurer les effets secondaires, tels que l’augmentation du stress au travail ou l’absence de mécanismes de solidarités collectives [10]. L’exigence de liberté, autrefois perçue comme condition nécessaire au travail scientifique, apparaît ainsi comme un privilège indu réclamé par des personnes qui, ne formant plus les élites, ne le mériteraient plus.

     

    Pour comprendre les enjeux de la réforme, il faut donc la re-contextualiser dans ce que propose le gouvernement pour l’ensemble du modèle d’enseignement supérieur français, divisé en parcours d’élite par les classes préparatoires et grandes écoles d’un côté, et parcours de masses, où l’on trouve les université. Si la globalisation, qui demande aux grandes écoles de produire aussi de la recherche et pas seulement des ingénieurs (et donc de s’associer avec des universités), engendre des pressions vers une unification de ces deux mondes, les résistances sont encore grandes, et les avancées limitées. L’asymétrie dans les réformes actuelles visant l’enseignement supérieur est d’ailleurs une manifestation de ces résistances. Entend-on le gouvernement parler de réformer les classes préparatoires ? Non, alors qu’on pourrait légitimement se poser la question de savoir si les parcours d’élite produisent les qualités requises chez ceux qui gouverneront le pays, le gouvernement laisse chaque classe préparatoire décider des moyens pour s’adapter à la concurrence créée par des écoles comme Sciences-Po. Au contraire, pour la réforme des universités, le gouvernement veut introduire les méthodes d’évaluation standardisées, comme pour mieux préparer les étudiants au monde du travail qui les attend. On comprend ainsi mieux pourquoi ce sont, entre autres, des professeurs de droit qui réagissent le plus vivement à l’insulte qu’ils considèrent leur être faite : en droit, où il n’y a pas de grandes écoles qui fassent concurrence à l’université, les professeurs ont le sentiment de former l’élite du pays et le mépris traduit par la réforme apparaît de façon d’autant plus flagrante.

     

    Dans son discours du 22 janvier dernier, le Président de la République déclare les « structures » universitaires « archaïques ». Par on ne sait quel paradoxe, les classes préparatoires, arc-boutées sur des conceptions pédagogiques bien plus ancestrales, échappent a sa critique. Les élites peuvent dormir tranquilles, leur parcours, dont elles maîtrisent les rouages, sont conservés intacts. Le gouvernement se garde bien de toucher à l’articulation bien française entre lycées d’élite, classes préparatoires et grandes écoles, articulation qui court-circuite pourtant les fonctions sélectives des universités. Il entend au contraire faire survivre le modèle essoufflé des classes préparatoires et des grandes écoles, où jamais l’endogamie sociale et l’exclusion n’ont été aussi fortes, en créant des classes préparatoires moins prestigieuses dans les universités. Car l’université de masse constitue toujours le terrain d’expérimentation privilégié des réformateurs de tout bord, qui jamais ne s’attaquent à la reforme des parcours d’élite, malgré tous les effets pervers que la présence de classes préparatoires hors des universités présente pour l’ensemble du système [11]. Le gouvernement aura-t-il le courage politique nécessaire pour engager la modernisation la plus pressante aujourd’hui, à savoir sortir les parcours d’élite français du dix-neuvième siècle, pour les faire entrer dans le vingt-et-unième siècle ?

     

    Cette distinction entre deux types de parcours explique pourquoi le système collégial est encore protégé dans les grandes universités nord-américaines, et en Europe dans quelques universités comme Cambridge – qui se considère au même niveau que ses homologues américaines et non sur le même plan que les universités britanniques créées dans les années 1970 et mises sous la coupe d’évaluations comptables sous Thatcher. C’est principalement parce que nous y formons une élite, non pas dans le sens sociologique où les étudiants viendraient tous des couches supérieures de la société, mais dans le sens où nos institutions les destinent à prendre les rênes du pays. Nous devons développer leur sens de l’innovation afin qu’ils deviennent les entrepreneurs de demain, nous les aidons à développer leur esprit civique et leur sens de l’engagement politique afin qu’ils s’emparent de grandes causes. Nos étudiants, comme nous, ont la chance (ce n’est plus aujourd’hui un droit, mais un privilège), de n’être pas seulement jugés selon des procédures standardisées, mais aussi pour leur originalité propre. Dès lors que nous formons cette élite, nous ne subissons pas aussi durement la volonté de réforme de nos structures collégiales qui anime aussi certains réformateurs de ce côté-ci de l’Atlantique.

     

    Ainsi, nous pouvons comprendre que nos collègues craignent que la LRU et les nouveaux décrets sur le statut des enseignants-chercheurs tirent l’université « vers le bas ». Car si le but n’est pas de décentraliser les procédures d’évaluation dans les départements de chaque université, mais plutôt un moyen de gérer la pénurie, en accroissant la volume de papiers inutiles que les enseignants-chercheurs devront remplir pour justifier de leur existence auprès de leur hiérarchie, et en augmentant les charges de cours de certains, alors on ne peut que voir dans cette réforme la manifestation de la paupérisation générale des formes de solidarité qui affectent nos sociétés. Mais cette réforme est peut-être l’occasion d’une prise de conscience de la part du monde universitaire. Prise de conscience que le monde a changé, et qu’il ne peut pas ne pas changer avec lui. Mais pour que cette prise de conscience crée de nouvelles solidarités, tissées d’abord entre « universités » de statuts différents (telles les universités de droit, de médecine d’un côté, ou de sciences humaines et sociales de l’autre), et même entre les universitaires et d’autres professions faisant face aux même défis, encore faut-il qu’un débat plus large soit ouvert.

     

    Ainsi, même si certaines mesures telles qu’évoquées précédemment peuvent permettre d’éviter les pires effets pervers, en étant placées dans une charte des universités, et en étant assorties de mesures visant à renforcer la collégialité, il faut se rendre compte que ce n’est pas seulement la question de l’évaluation universitaire qui est ici en jeu. Réformer un système éducatif et de recherche devrait impliquer une réflexion globale sur la place de l’université dans la société, sur la liberté scientifique, sur la fonction éducative attribuée à l’enseignement supérieur et son rôle dans la production des élites, sur les rapports entre politiques et savants, bref un débat public sur les valeurs que ce système est chargé de défendre et de transmettre.

    par Martial Foucault & Eleonore Lépinard & Vincent Lepinay & Grégoire Mallard  


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  •  Elections prud’homales Les sénateurs s’en prennent à la démocratie sociale !Le Sénat a voté¹ le projet de loi Rebsamen portant sur la désignation des conseillers prud’hommes et le report des mandats jusqu’à fin 2017.  Ce projet de loi, présenté en procédure accélérée, prévoit notamment de donner tout pouvoir au gouvernement par ordonnance pour passer d’un mode d’élection au suffrage universel à un mode de désignation des conseillers prud’hommes.

     

    Ainsi, le gouvernement veut désigner les conseillers prud’hommes en usurpant la loi sur la représentativité dédiée exclusivement aux élections des représentants du personnel.

    Pourtant, l’opposition à ce projet est très forte.

    Près de 75 000 personnes ont ainsi, notamment, signé la pétition² lancée par la CGT pour exiger la tenue des élections. Pour la journée du 14 octobre, des centaines de motions ont été adressées au Président du sénat, des déclarations unitaires départementales ont été diffusées, des rassemblements et des conférences de presse se sont tenues, des grèves d’audience ont eu lieu. Au Conseil Supérieur de la Prud’homie (CSP) CGT, CFE-CGC et FO se sont prononcés contre le projet de loi. S’ajoute le soutien de Solidaires et de la FSU qui ne siègent pas au CSP, ainsi que du Syndicat de la Magistrature et du Syndicat des Avocats de France.

     Elections prud’homales Les sénateurs s’en prennent à la démocratie sociale !Si tout le monde s’accorde sur le fait que le taux de participation des salariés aux dernières élections 2008 n’est pas satisfaisant et que la simplification de son organisation est nécessaire, le gouvernement ne peut pas y remédier en supprimant purement et simplement les élections !

    Pour la CGT, alors que le projet de loi doit passer en décembre à l’Assemblée nationale pour une adoption définitive, il y a urgence à mettre en place un groupe de travail au sein du CSP, comme elle le revendique depuis 2008, afin de trouver des solutions garantissant une plus grande participation des salariés aux élections prud’homales.

    Contrairement au gouvernement, la CGT a des propositions à soumettre au débat : rapprocher le vote aux élections prud’homales dans l’entreprise en lien avec les IRP, simplification des listes, faciliter le vote des chômeurs, etc. La CGT, ses organisations, ses conseillers prud’hommes continueront à agir pour que ce projet soit définitivement enterré et que s’ouvrent enfin de véritables discussions permettant d’aboutir à des solutions alternatives dans l’intérêt des salariés et de la justice du travail.


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  • L’impôt sur le revenu, un acte citoyenAnnoncée par Manuel Valls le 17 septembre, la suppression de la première tranche d’impôt semble approuvée par une majorité de Français [1], tous bords politiques confondus. Probable traduction d’un « ras-le-bol fiscal » soigneusement cultivé par le discours politique, cette approbation dénote, en réalité, une méconnaissance de ce que serait une fiscalité juste.

    La suppression de la première tranche (en fait, la deuxième, la première étant celle à 0%) va à l’opposé d’une évolution progressiste.

    Tout d’abord, il est utile de rappeler que l’impôt sur le revenu est, en théorie, le plus juste des impôts car il est progressif : les ménages aisés contribuent proportionnellement plus que les ménages modestes. Le degré de progressivité est réglé à la fois par le nombre de tranches du barème et par les taux qui s’appliquent sur chacune d’elles : une meilleure progressivité rend une plus grande équité, puisqu’elle permet que le taux effectif d’impôt (le montant de l’impôt rapporté au revenu imposable) augmente très régulièrement avec le revenu, en lissant les effets de seuils des tranches. Or, en pratique, les réformes menées depuis trente ans par les gouvernements successifs ont fortement réduit la progressivité en diminuant régulièrement le nombre de tranches (de 13 en 1986 à 6 en 2013) et le taux supérieur (de 65% en 1982 à 45% aujourd’hui). Supprimer à nouveau une tranche d’imposition (même si c’est au bas du barème), c’est affaiblir encore la progressivité de l’impôt et donc l’outil fiscal de redistribution.

    De moins en moins progressif et, en outre, mité par les nombreuses niches fiscales qui réduisent son assiette, l’impôt sur le revenu ne fournit qu’environ 20% des recettes de l’Etat. Il représente moins de 3% du PIB, ce qui en fait l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. C’est la TVA qui rapporte le plus aux finances publiques, avec près de la moitié des recettes. Or, c’est un impôt injuste car, en tant que taxe proportionnelle assise sur la consommation, la TVA touche de manière disproportionnée ceux qui consomment l’essentiel de leur revenu, c’est-à-dire les classes populaires (selon une étude de l’Insee de 2008, le paiement de la TVA représente 11,5% des revenus disponibles des 10% de ménages les moins riches, contre 5,9% pour les 10% de ménages les plus riches ; d’autres études donnent même un écart plus important).

    On cherche donc vainement la cohérence de la ligne gouvernementale entre l’annonce en septembre d’une mesure visant à alléger l’impôt de 9 millions de ménages des classes modestes et la hausse de la TVA appliquée en janvier qui pénalise beaucoup plus lourdement ces mêmes classes. De plus, les foyers non imposables ne bénéficieront pas de cette baisse d’impôt. Augmenter un impôt injuste de 6 milliards d’euros par an, et baisser en parallèle l’impôt le plus juste de 3,2 milliards, il y a mieux comme mesures d’équité !

    Concrètement, le nouveau barème passera brutalement du taux de 0% à celui de 14%, ce qui dégrade fortement l’équité pour les revenus se situant autour de ce seuil. Pour atténuer un peu cet effet, il est alors prévu d’ajuster la décote (abattement sur les faibles impôts). Il est aussi prévu d’ajuster les seuils du barème pour que la suppression de la tranche à 5,5% ne se traduise pas par une baisse d’impôt pour tous les contribuables, ce qui n’est pas l’objectif. Alors que l’impôt sur le revenu est déjà illisible avec les dispositifs de décote, quotient familial, prime pour l’emploi, ces mesures en ajoutent encore à sa complexité. En outre, il n’est pas très responsable d’engager des mesures qui exonéreront de l’impôt sur le revenu trois millions de foyers supplémentaires, alors qu’il faut, à l’inverse, améliorer le consentement à l’impôt et le réhabiliter comme acte citoyen.

    Une vraie réforme fiscale, progressiste, est urgente. Une des orientations majeures est d’établir une progressivité d’ensemble de la fiscalité, c’est-à-dire de réduire le poids relatif des impôts indirects (TVA, etc.) qui exercent un effet anti-redistributif en termes de prélèvement fiscal, et augmenter en parallèle la part des impôts progressifs (impôt sur le revenu, ISF) tout en renforçant leur progressivité. C’est ce qui serait le plus efficace et le plus juste pour réduire la fiscalité sur les plus modestes. Le contraire donc de l’évolution actuelle !

    Il est vrai qu’au début du mandat de François Hollande, quelques mesures avaient été prises qui rompaient avec la dégradation continue de l’impôt sur le revenu depuis trente ans. Une tranche d’impôt à 45% a été créée au-dessus de 151 200 euros de revenus. Mais c’est une mesure peu audacieuse, par son taux (4 points seulement au-dessus du précédent taux de 41%) comme par le faible nombre de foyers concernés (50 000 environ, qui se situent parmi les 1% des plus riches). Dans un contexte où les salaires des cadres dirigeants des grandes entreprises et ceux pratiqués dans la finance atteignent des niveaux indécents, la fiscalité a un rôle majeur à jouer pour limiter les inégalités de revenus. Ainsi, un barème d’imposition avec une progressivité régulière de l’impôt et des taux supérieurs élevés permettrait à la fois de dégager des ressources supplémentaires et de dissuader le versement de trop hautes rémunérations.

    Autre mesure positive, bien qu’insuffisante, adoptée en 2012 : la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire qui permettait aux revenus financiers de bénéficier d’un taux d’imposition plus faible que celui des revenus du travail. Cette mesure est loin de suffire pour annoncer, comme le fait le gouvernement, que la fiscalité des revenus du capital est maintenant alignée sur celle du travail ! Tout d’abord, le prélèvement libératoire reste en vigueur pour l’assurance-vie, qui représente le principal placement financier, avec un encours de 1 720 milliards d’euros ! Ensuite, des exonérations ont été instaurées. Notamment, devant la grogne des entrepreneurs à l’automne 2012 (le « mouvement des pigeons »), le gouvernement a renoncé à taxer les plus-values de cession de sociétés en prévoyant de nombreux aménagements. De plus, surtout, il existe de nombreuses niches fiscales, qui permettent aux revenus financiers de réduire ou même d’éviter l’impôt. Elles sont très coûteuses pour les finances publiques et doivent être remises à plat.

    Ces quelques exemples ne concernent ici que l’impôt sur le revenu, mais les marges de manoeuvre existent plus largement pour rendre la fiscalité plus juste et efficace. L’impôt est un outil pour réduire les inégalités sociales et permettre à la puissance publique de financer des politiques démocratiquement décidées. Il doit retrouver son sens citoyen.

    Christiane Marty a dirigé l’ouvrage collectif : « Un impôt juste pour une société juste », Syllepse, 2014.

    [1] Sondage Tilder - LCI - OpinionWay publié le 19 septembre.


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  • Contre la violence sexiste et sexuelle au travailLa CGT appelle le gouvernement français et le MEDEF à s’engager en faveur de la mise à l’agenda par l’Organisation internationale du travail (OIT) d’une convention internationale sur les violences sexistes et sexuelles au travail.

    Multiples et multiformes, au travail ou ailleurs, les atteintes à la dignité, à la liberté, à l’intégrité physique et mentale des femmes constituent un puissant obstacle à l’égalité dans tous les domaines, notamment professionnel. Elles compromettent le droit au travail des femmes, sans parler de leur vie, de leur bien-être et celui de leur entourage, en particulier les enfants.

    Contre la violence sexiste et sexuelle au travailUne enquête de l’INSEE (2008) indique que près de 5% des viols commis sur des femmes âgées de 18 à 59 ans l’ont été sur le lieu de travail, soit 34 viols commis chaque jour dans nos entreprises. Une salariée sur quatre a souffert de gestes déplacés non désirés.

    Depuis les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes jusqu’au harcèlement sexuel sur le lieu de travail, les violences de genre, au-delà des drames humains qu’ils engendrent, font système et appellent un engagement de toute la société.

    En France comme dans la majorité des pays du monde, il est indispensable de renforcer une législation très insuffisante.

    Une convention de l’OIT permettrait de combler cette lacune au niveau international. Elle serait un point d’appui pour obtenir la mise en place dans l’ensemble des pays d’une législation solide pour prévenir les violences sexistes au travail et protéger les victimes.

    Les représentants des travailleurs défendent l’inscription des violences sexistes et sexuelles au travail à l’ordre du jour du prochain CA du Bureau International du Travail afin d’établir une nouvelle norme. Cette proposition ne fait pas l’unanimité parmi les membres du Conseil d’administration. La CGT demande expressément aux représentants français des employeurs et au gouvernement de sortir de leur silence et de s’exprimer sur le sujet.

    La France a un rôle majeur à jouer pour assurer le bon fonctionnement du système d’application des normes internationales du travail et se doit de prendre toutes les mesures pour renforcer le rôle régulateur de l’OIT et le respect des conventions dont elle est la garante. Elle se doit d’agir pour renforcer les mesures de prévention et protéger les femmes victimes de violences dans ou en-dehors de l’entreprise (allègement du temps de travail, facilités de mutations, possibilité de démission sans préavis et avec indemnités de rupture…).

    La CGT lance ce mercredi, en association avec Peuples Solidaires, une pétition demandant au gouvernement et au patronat de soutenir la convention internationale sur la violence sexiste et sexuelle au travail. La CGT portera ces propositions et exigences notamment à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence faite aux femmes qui aura lieu le 25 novembre prochain.


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